jeudi, novembre 12, 2009

Ivano Ghirardini, d'un solo à l'autre...


LES HOUCHES 
conférences "Alpinisme vécu".

le bilan:
Après trois années de pratique d'une formule qui a séduit vingt alpinistes de haut niveau et plus de deux mille cinq cents spectateurs, l'heure est à la pause et au bilan.
La pratique de l'alpinisme par une cordée et l'esprit qui prédomine sont caractérisée par la solidarité. La cordée "Ivano Ghirardini-Serge Dozikian" dans la logique de cet esprit montagne, décapitée par le départ du second, arrête là sa progression. Confortée par la réussite d'une formule et par la réalisation de la plupart de ses objectif, l'équipe I. Ghirardini, Office du tourisme présente un bilan positif. Pour le premier nommé, la capitale de l'alpinisme ne fait que trop peu pour les "grands" alpinistes. En leur donnant la parole, en les accueillant et en les aidant à se faire connaitre, il s'agit de réduire ce manque. Pour la station, satisfaire l'intérêt de sa clientèle tout en s'appuyant sur la notoriété de certains grands noms, c'est aussi perpétuer la mémoire alpine et renforcer son image.
Le thème de la sécurité et les hommes qui la représente Les alpinistes de très haut niveau qui ont joué le jeu et qui, sans prétention, sont venus échanger avec le public local sont au nombre de vingt. Par ordre de passage à Olca : Pierre Béghin, en été 1992, soit quelques jours avant son départ pour l'Annapurna et deux petits mois avant sa disparition. D'ailleurs toutes les personnes présentes ce soir là s'interrogent encore sur le côté "prémonitoire" de son discours. Il a été suivi par Jean-Christophe Lafaille, Marc Batard, Patrick Gabarrou en route pour les "cathédrales de lumière". Par Thierry Renault qui, dans ses cascades de glace, voit un jeu d'ombre et poursuit la lumière... Alain Ghersen, Mark Twight et Yvano Ghirardini sont aussi venus en 1992.
Chantai Mauduit "simple, disponible et modeste" a ouvert en 93, précé¬dent François Marsigny, François Damilano, René Robert, Patrice Bo-din et Catherine Destivelle. Jeff Lowe représente la réussite "espérée" puisque son séjour aura été entièrement financé par cette conférence.

Quant au PGHM, pour clore la saison, ce fut le plus gros succès en terme de public quant au nombre, à l'intérêt et à la curiosité.
L'année 94 verra, parmi les néo conférenciers, Vicky Groselj, Slatko Sveticic et Jean-Pierre Frachon. L'indispensable transmission du savoir lié à l'expérience Toujours pour Ivano, ce qu'il retire de ces trois années et de sa fréquentation des "grands", c'est "qu'ils sont tous  passionnés,  mystiques,   imprégnés d'une spiritualité cachée, libres et avides de liberté. Que pour tous les amis disparus restent présents (Casarotto, Kuskuska, Hasegawa...) et la famille des alpinistes bien réelle".
Il remercie tous ceux qui, sympa, ont joué le jeu et fait honneur à la station.

Si une pause lui parait "aller de soi", il n'exclut pas de continuer dans une formule affinée. Toujours adaptée à
l'image de la station, celle-ci mettrait un peu plus l'accent sur la sensibilisation des gens. Que ce soit dans les domaines de la sécurité, de la météo, de la prévention etc...Il pense indispensable et nécessaire, cette transmission du savoir et cette notion de sécurité liée à l'expérience que font passer les alpinistes et sportifs de haut niveau.
Gaby DUFOUR –Le Dauphiné Libéré.

La conférence d’ Ivano Ghirardini.
Ivano est un adepte de l'alpinisme "solo", Sa conférence (la dernière de la série "Alpinisme vécu") et son diaporama sont d'emblée, consacrés aux premières qui ont établi sa notoriété. C'est-à-dire à l'idée, puis à la réalisation de ce qui est aujourd'hui labellisé sous l'appellation "La trilogie". Autrement dit gravir la même saison d'hiver, les trois faces nord mythiques des Alpes, celles qui constituent pour les alpinistes de pointe des années trente, "Les 3 derniers problèmes des Alpes". Soit la face nord du Cervin, gravie le \" août 1931 par les frères Franz et Tony Schmid. Celle des Grandes-Jorasses, le 29 juin 1935, par les Allemands Peters et Meïer. Et celle enfin de l'Eiger, le 23 juillet 1938, par Heckmair Vorg, Kaspareck et Harrer. Toutes conquêtes qui, le recul permet de le confirmer, marquent l'apogée de l'alpinisme traditionnel de la première moitié du siècle.
Une expérience humaine "pesante"
Après sa réussite dramatique de l'ascension du Linceul des Grandes-Jorasses, puis son errance chanceuse dans la face sud, en 1975, Ivano rentre à la maison fort de ses convictions mystiques. Il entreprend, toujours en solo et avec succès, l'hiver 1978, l'ascension de l'éperon Croz à la face nord des Jorasses, la face nord du Cervin puis celle de l'Eiger.
Cette réussite le propulse ensuite sur quelques-uns des plus hauts sommets : le Makalu, en hiver, par le pilier ouest, le Mac Kinley, l'Aconcagua et ses 6 959 mètres. Le Nangat Parbat, tentation puis tombeau de Mumery, père de l'alpinisme acrobatique. Le Mitre Peak et une ascension périlleuse. Le K2 enfin, tenté et presque réussi par une "équipe de France de l'alpinisme", théâtre pour Ivano d'une expérience humaine pesante avec la mort "dans ses bras", du porteur Laskar khan.
Deux petits rongeurs d'espace et d'aventure
II proposa ensuite des images de ses dernières premières alpines, que ce soit à l'Aiguille de Saussure, sur les flancs du Mont-Blanc-du-Tacul, ou à la face nord des Jorasses avec "Rêve éphémère", réussie cette année.Après avoir évoqué et faite sienne la prédiction des Incas : "Pour qui les glaciers vont fondre et ce sera une autre civilisation!", il clôt cette soirée et le cycle des conférences "Alpinisme vécu", sur une image en contre-jour de deux petits rongeurs dévoreurs "sans prétention" d'espaces et d'aventure. Un symbole...
Gaby DUFOUR



Photo: Ivano Ghirardini lors de la conquête en solitaire du Mitre Peak, 6010m, Pakistan, Karakorum.

Ivano Ghirardini, une petite première en face nord des Grandes Jorasses.


Le guide Ivano Ghirardini signe une première en solitaire dans la face nord des Grandes Jorasses « Cristal Palace », c'est ainsi qu'il l'a baptisée...
Une voie dans la pointe Young (3.966 m) qui se trouve dans la partie droite de la face nord des Grandes Jorasses, juste en limite. Il s'agit d'une voie mixte, roche et glace, comportant des passages très raides à 80° et des parties en rocher particulièrement délité, donc très instable. Cotée TD, elle n'avait été répétée que deux ou trois fois depuis 1958, date de la première escalade par des Italiens.
Ivano Ghirardini, guide de haute montagne, avait arrêté l'alpinisme de haut niveau depuis 9 ans. Mais le virus vient de le reprendre... Et, pour fêter ses 38 ans, il s'est donc offert un superbe « come-back » en réalisant les 16 et 17 août la première solitaire de cette voie. Suivi dans son ascension par notre confrère belge Marc d'Haenen, Ivano Ghirardini a ouvert une variante dans la partie basse, plus à droite de la voie, qu'il a appelée « Cristal Palace » en raison des superbes cristaux rencontrés dans la paroi. Cette variante permet de rejoindre le glacier du Mont-Mallet. C'est à cet endroit qu'il a effectué un bivouac avant d'attaquer la partie terminale le lendemain.
Ivano Ghirardini reste fidèle à sa conception de l'alpinisme : « Pas d'hélicoptère, 'sauf en cas de secours bien entendu, pas de radio, pas de reconnaissances ni de préparation préalables, pas de spits, pas d'assistance extérieure ! Et pas de médias avant que ce soit terminé... ! ».
Après ce succès, il ne compte pas , en rester là et a d'autres projets en tête.

RETOUR A LA HAUTE MONTAGNE POUR GHIRARDINI QUI CARESSE DÉJÀ D'AUTRES PROJETS. (Cliché Messager)

mercredi, novembre 11, 2009

Une première de plus en Haute Ubaye


Alpinisme
La vingtième « première » d'Ivano Ghirardini dans le massif de l'Ubaye

Chamonix. — Les alpinistes qui connaissent par cœur le massif du Mont-Blanc, ne dédaignent pas d'aller chercher ailleurs d'autres sensations, de se mesurer à d'autres sommets...
Ainsi /ils sont beaucoup plus nombreux que l'on pourrait croire à 'fréquenter l'Ubaye: massif secondaire mais très intéressant, notamment pour ses difficultés propres et ses techniques différentes. L'alpiniste chamoniard Yvan Ghirardini est de ceux qui affectionnent les « virées » en Ubaye. La preuve en est, il vient d'y réussir sa... vingtième « première » ! Les aiguilles de Chambeyron et celle de la Pierre André sont ses principaux terrains de prédilection. Il vient de réaliser la première solitaire directissime Sud de l'Aiguille Pierre André (2853 m), bien connue, par une voie de 240 mètres classée extrêmement difficile.                  ; '
Très technique, cette voie présente de nombreux passages d'artificiel, on trouve un grand
dièdre rouge à son départ, puis 'plus haut on rencontre de nombreux surplombs : notamment, trois ressauts pas si évidents à franchir : 6 heures et demie lui ont été nécessaires pour en venir à bout.
On accède à l'Aiguille Pierre An¬dré par le refuge de Maljasset. Yvan Ghirardini, qui devient un habitué des premières en Ubaye, a bénéficié pour celle-ci d'excellentes condition et d'un bon rocher.                   ,
A. B.
Notre photo (Jean Vichard). — L'Aiguille Pierre-André : intéressante et difficile, à l'image de l'Ubaye.

Un article en italien sur Ivano Ghirardini


 Ivano Ghirardini, conseiller technique Eider, mais aussi Lafuma, le seul sportif de haut niveau qui semble avoir résilié tous ses contrats de sponsoring pour...créer sa propre entreprise. 

Nombreux sont les alpinistes qui ont aimé les créations et les vêtements conçus par Ivano Ghirardini, dans sa propre entreprise, vendus dans ses propres boutiques. Il n'a pu faire cela que pendant quatre années, de 1982 à 1986. Le reste est une histoire de meurtre à petit feu et cette entreprise a été détruite par le réseau politico mafieux, les ripoux aux ordres,  qui contrôlent Chamonix pour faire du fric dans l'immobilier en s'emparant du patrimoine qu'avait acquis Ivano Ghirardini dans cette vallée. 


Sauf que ceux qui ont fait cela ont oublié un détail: s'en prendre à un schizoïde paranoïde c'est s'en prendre toujours à l'Invisible qui se cache derrière un schizoïde. Et dans ce cas de spoliation d'Ivano Ghirardini par ce réseau politico mafieux et les ripoux de la Vallée de Chamonix qui n'a pour seul idéal que de faire du fric dans des magouilles immobilières ou sportives, bonjour les dégâts !!! Vous n'avez aucune idée de qui se tient dans l'invisible. Plus les Rois sont puissants, plus ils se couvrent de bijoux, bâtissent des palais somptueux, organisent fêtes, fastes et dépensent sans compter. Dans l'Invisible c'est l'inverse, plus ils sont haut dans la hiérarchie du royaume des Cieux et plus ils sont humbles et modestes. 


Une divinité rend visite à Ivano Ghirardini à Chamonix

GHIRARDINI, Ivano.
Noto alpinista e guida alpina, nato nel 1953 in Emilia ma emigrato in giovanissima età in Francia, dove risiede tuttora. A differen/.a di molli giovani arram-picatori suoi coctanei, Ghirardini è giunto all'alpinismo verso i vent'anni, scoprendo la montagna quasi pcr caso atlraverso i libri di Bonatti. L'improvvisa decisione di abbando-nare gli studi per intraprendere la professio-ne di guida puo per lo meno lasciare sconcer-tati, se si pensa che le sue esperienze alpini-stiche si riducevano in quel période a poche scarpinate a bassa quota. Imparando com-pletamente da solo le tecniche di scalata, nel 1973 riusci a mettere insieme una lista di ascension! sufficiente a presentarsi al corso per aspiranti guide dell'anno successivo. Nel  1975 si lanciô in un'impresa audacissi-ma, salendo in prima solitaria, nel mese di febbraio, il famigerato Linceul délia parele nord délie Grandes Jorasses; bloccato sulla via normale durante la discesa, rimase otto giorni senza bere e sei sen/a mangiare, e tu poi salvato in extremis da un elicottero. Mol-ti in quell'occasione pensarono all'impresa di un pazzo o di un temerario a caccia di pubblicità, ma la ricerca dell'exploit era fuo-ri dalle mire di Ghirardini. Il suo rapporto con la montagna, vissuto corne esperienza profondamente spirituale, colloca l'impresa de! Linceul in un filone assai lontano dall'ex-ploit sportivo. Ghirardini ha spesso parlato di questa esperienza corne del primo gradi-no a lui necessario per stabilire un dialogo più profonde con quelle forze spiritual! che egli identiiica con Dio, al di là délie condizio-ni alienate in cui si svolge la vita di tutti i giorni.   Un  alpinismo   riconducibile   a  una chiara matrice mistica, dunque, ma non per questo tacciabile di taciloneria, corne hanno dimostrato le ascension! successive. Nel 1977 Ghirardini ha attaccato in gennaio la via de! fratelli Schmid sulla parete nord del Cervino ma, sorpreso dal maltempo, ha dovuto  uscire  sulla spalla  deU'Hôrnli,  di-scendendo  per  la  parete  est.   Nell'inverno a cavallo tra il  1977 e il  1978 è riuscito a portare a termine l'impresa che puô essere considerata corne la più bella délia sua car-riera, inanellando una dopo l'altra, per la pri¬ma volta nella storia dell'alpinismo, le ascen¬sion! délie tre grandi pareti nord délie Alpi. La prima a essere percorsa è stata la Via Schmid sulla parete nord del Cervino duran¬te il mese di dicembre, seguita dallo Spero-ne Croz sulla nord délie Grandes Jorasses ai primi di gennaio; infine, ultima délia série, ha salito la via classica del 1938 sulla parete nord dell'Eiger. Oncle giudicare in maniera appropriata la sua avventura invernale, oo-corre considerare le profonde implicazioni psicologiche connesse a un'impresa di que¬sto génère, e ramrnentare le pessime condi-zioni meteorologiche e dell'innevamento sul-le Alpi durante quell'inverno. A partire dal 1979, l'attività alpinistica di Ghi¬rardini si è allargata allé montagne extraeu-ropee. Nella primavera-estate di quell'anno, va ricordata la sua partecipazione alla spedizione nazionale francese diretta da B Mellet sulla cresta sud-sudovest del K2, su cui ha etrettuato un tentativo solitario, bivaccando da solo a 8350 metri. Nel 1980, durante l'esta-te, l'alpinista francese ha poi salilo il Mitre Peak (m 6010), una splendida montagna in-violata del Karakoram. Nel gennaio segucn-te ha reahzzato un'altra splendida salita pcr-correndo in prima solitaria intégrale la gigantesque Parete sud  Aconcagua (m 6959) Tra una prima ascensione e l'altra sul-1 arco alpino, durante l'inverno 1981-1982 ha effettuato un tentativo al Makalu natural-mente da solo, prima sul difficile pilastre ovest e poi lungo la via normale. Pochi mesi dopo, m maggio, Ghirardini ha compiulo la prima salita francese dello Spérone Cassin sulla parete sud del Mount Me Kinley (m 6193), in tecnica alpina, assieme a P. Roux

Extrait d'un article sur Ghirardini



En moins d'un mois, le guide Saint Aubanais a réalisé deux premières (dont une en solitaire) dans le massif du Mont-Blanc. 
Deux exploits qui marquent le retour d'Ivano à l'alpinisme de haut niveau.
Au cours de l'hiver 77-78, un jeune bas-alpins de 25 ans entrait par la grande porte dans l^istoire de l'al¬pinisme mondial. Yvamo G1 %rdini venait de gravir ct^^olitaire, en un seul hi¬ver, les trois faces nord les plus terribles des Alpes :
Les Grandes Jorasses, le Cervin et l'Eiger. Après une éclipse de quelques années consacrées à fonder une fa¬brique de vêtements de montagne à Chamonix -au¬tre aventure- Yvano re¬vient dans les colonnes de l'actualité alpines en si¬gnant coup sur coup deux premières dans le massif du Mont-Blanc.
A la mi-Août, Ghirardini a ainsi gravien solitaire (première en solo) une voie nouvelle à la Pointe Young (3.966 m) dans la face nord des Grandes Jorasses. Une v cotée "TDsup" qui n'a-vSsf été répétée que trois fois, grand itinéraire mixte de 800 mètres de haut, non équipé.
Cristal Palace
Dans son chalet des Praz à Chamonix, installé devant un succulent plat de pâtes préparées par la "mamma" de Saint-Auban, Yvano raconte : "Je suis parti du refuge de Lès-chaux à 1H du matin. Deux heures après, j'étaits au pied de la voie. La rimaye était très impressionnante. J'ai dormi deux heures en attendant le lever du jour, puis j'ai commencé à grim¬per. J'étais bien, mais la sé¬cheresse m'a obligé à ou¬vrir une variante sur la droite avec des passages de glace très raide à 8ff. Je l'ai baptisée "Cristal Palace". Un échapatofre m'a permis d'aller bivouaquer sur le glacier du Mont Mallet. Le lendemain j'ai réattaqué la voie de l'éperon Young jus¬qu'au sommet".
"Pour réussir une voie en solitaire, poursuit le gui¬de chamoniard, il faut être bien, être en harmonie avec ce que l'on va faire.

Rêve Ephémère


CHAMONIX  ALPINISME
Rêve éphémère pour Ghirardini

Ivano Ghirardini a signé dernièrement sa quatrième première aux Grandes Jorasses. C'est en compagnie de Slavko Sveticic que la goulotte de 850 mètres entre la pointe Young et Marguerite face nord des Grandes Jorasses fut abordée. Après 600 mètres d'escalade délicate et un passage clef insurmontable faute de glace, Slavko Sveticic préfère redescendre. Donc la cordée se sépare, Slavko rejoint l'antécime de la pointe Young et termine son ascension au refuge de Canzio.
Quant à Ivano Ghirardini, il reste seul et bivouaque sur l'éperon nord de cette même pointe Young après avoir évité le ressaut clef qui n'était pas en condition le lendemain matin après une bonne nuit, il descend en rappel afin de récupérer son itinéraire dans la goulotte. Il remonte cette magnifique ligne jusqu'à la brèche en solitaire puis redescend à Canzio par la voie normale de la pointe Young.
Cette goulotte sera baptisée "rêve éphémère d'alpiniste" car à la grande surprise d'Ivano, elle avait disparu à la redescente. Cette voie est cotée TD plus exposée avec une première partie dans un couloir de neige à 55 degrés puis des plaques de glace collées au rocher de plus en plus raide. Cette goulotte rarement
en condition se trouve à gauche de la voie des Polonais (ouverte en 1968) et avait été déjà entreprise en août 1983 par la cordée J.C. Lafaille-Marc Francis Twight qui avaient du renoncer faute de glace.

Des alpinistes en vacances


UNE PREMIERE ENGAGEE
Ivano Ghirardini et Joshua Geetter un guide californien ont gravi il y a quelques jours l'Aiguille noire de Peuterey, face nord nord est, en réalisant la première ascension depuis le glacier de la Brenva par une voie nouvelle. Voie ED, 900 M, très engagée baptisée "Idiana Stones".
"Le versant "nord nord-est de l'aiguille noire de Peuterey est un des plus sauvages du mas¬sif du Mont Blanc" expliquent les alpinistes. "Il est d'une raideur exceptionnelle et très engagé car la retraite en cas de problème est très alléatoire. Le rocher est dans l'ensemble assez bon, sauf dans la partie supérieure où la dis¬parition presque totale du névé supérieur fait apparaître des dalles couvertes de poussières et de roches instables qui ont rendu la fin de l'ascension extrêmement délicate". Il semble que cette face pourtant très évidente (visible depuis Entreves et Courmayeur) n'ait jamais été gravie depuis le glacier delà Brenva. Ce qui est sûr, c'est que l'itinéraire ouvert par les guides est totalement original. L'arrivée du mauvais temps les ont obligé à éviter le splendide bastion terminal. Sans s'arrêter, ils sont redescendus de nuit de l'Aiguille. Vingt-sept longueurs en tout, dont cinq avec des pas-
sages de VI souvent très exposés ont constitué l'ascension.
Deux itinéraires voisins du guide Vallot n'avaient pratiquement jamais été répétés ce qui montre l'extrême sauvagerie de cette face qui n'avait jamais été gravie depuis le bas.
Joshua Geetter est guide en Californie. Agé de 28 ans, il a à son actif de nombreux "big wall" aux USA (Capitan, Half dôme, Sentinel, Colorado, Sierra, Arizona...). Dans les Alpes, il a réussi de grands itinéraires comme la directe américaine et le pilier Bonatti aux Drus. C'est un 'excellent grimpeur autant en mixte qu'en rocher.
Ivano Ghirardini, 38 ans, né en Italie, est guide à Chamonix depuis 1981 après une jeunesse passée dans les Alpes de Haute Provence. Il a réussi au cours de l'hiver 77-78, la première trilogie hivernale solitaire des faces nord des Grandes Jorasses, du Cervin et de l'Eiger, les premières solitaires de la face sud de l'Aconcagua, du Mitre Peak, du Linceul et de la pointe Young (16-17 août 1991 ), dans la face nord des Grandes Jorasses entre autres. Il est aussi fabricant de matériel d'alpinisme et styliste professionnel.





Photo: Cristal Palace en face nord des Grandes Jorasses.

Frédérique Delrieu, Ivano Ghirardini, variante nouvelle en face nord de l'aiguille de Bionassay


UNE PLAISANTE BALADE,
C’est en face nord de Bionassay dans le massif du Mont-Blanc, une variante de 500 m à  gauche de la voie classique de la face nord, ouverte fin novembre par Frédérique Delrieu et le guide Ivano Ghirardini. Niveau D, passages de glace de 60°.

Edouard Tissier raconte...

FACE A FACE AVEC LE ROI DU SIAM
"Occupe-toi, berger, de crainte que le malin ne s'empare de ton inaction".

Ce n'est pas "Yvan le Terrible" que j'allais contacter, un soir de grand beau, au bureau de l'Association indépendante des guides du Mont-Blanc pour l'engager pour une course de rocher, mais un Yvan un peu terrible quand même, lorsque on sait qu'il s'agit du jeune aspirant-guide Ivano GHIRARDINI rescapé de l'hivernale en solo du LINCEUL (voir n°l-1976 - La Montagne), dont je fis tout à fait par hasard la connaissance.
Après que j'eus exposé mes désirs qui tendaient vers une course relaxe, Yvan m'ayant "essayé" dans l'arête NE de la PERSEVERANCE, estimait qu'il serait dommage de choisir une escalade du niveau A.D. Comme chacun sait, les guides possèdent l'art d'imposer les courses de leur choix à leurs clients. Pour éviter la foule, nous nous mettons d'accord sur l'arête E. du Roi du Siam (VALLOT 545). Je n'avais jamais entendu parler de ce monarque alpin coincé entre le Grand et le Petit Capucin. Nous regardons ensemble le topo-guide qui ne me rassure guère"... Gravir le premier ressaut en rocher fissuré (IV)..., puis s'élever verticalement par un dièdre (IV sup.) et une cheminée fissurée (IV)... éviter un toit à gauche (IV)... gravir un feuillet détaché, le fil de l'arête, un ressaut avec blocs surplombants (IV sup.) etc...etc... Avec beaucoup de conviction et de passion, Yvan m'assure qu'il "équipera" bien des passages les plus difficiles, que je serai encordé derrière lui, que Georges le très jeune alpiniste qui fait cordée avec nous passe du V en tête dans les Calanques, et ainsi de suite .... Pour ma part, je ne voudrais pas trop tricher avec la montagne.
Bref, malgré une demi-heure d'avance au Téléphérique de l'Aiguille du Midi, deux bennes nous échappent et quel cohue ! Nous dévalons rapidement la Vallée Blanche. Ça crapahute déjà fort dans la Pyramide du Tacul et dans le petit Capucin que nous dépassons pour aller plus au Sud dans la Combe Maudite. Comment ont-ils fait pour avoir autant d'avance sur nous? Sans doute, ces grimpeurs ont-ils passé la nuit au refuge des Cosmiques, ce qui était sage. Par contre, pas un chat dans notre Roi du Siam. Notre guide satisfait, sort de son sac sans tarder force bicoins, clogs et autre quincaillerie. Visiblement, il a l'intention de faciliter les choses à ses clients d'aujourd'hui. Et c'est parti! Tout de suite un premier passage de IV. comme cela à froid sans nous prévenir! Yvan nous fait comprendre que dans cette voie, il ne faut pas s'attendre à des passages faciles, mais comment ne pas venir à bout des difficultés, lorsque "celui qui va devant" essaye de vous communiquer son enthousiasme, pas toujours perceptible, il est vrai, quand une bonne longueur de corde vous sépare de lui. Après les premières difficultés. solidement assurés à la paroi verticale, nous nous accordons une halte vers midi sur une petite vire pour grignoter quelque nourriture. Pendant ce temps. Yvan pousse une reconnaissance sur notre gauche vers la face S.E. Confusément, nous le soupçonnons de vouloir nous engager dans cette voie plus difficile encore (Vallot 546.) "Venez", nous lance impérativement un Yvan invisible! Il a suffit d'une jolie traversée horizontale d'une longueur pour rejoindre cette face S.E. dans laquelle régnait un silence insolite. Selon notre guide, la beauté des passages de cette voie, toute en finesse, devrait nous permettre de les franchir avec aisance certainement, avec plaisir sûrement, sinon, nous ne savons pas grimper...! Quel appel à notre amour-propre ! Et quel optimisme !
Pourtant, nous étions prêts à ne pas tricher avec ce mur vertical d'une longueur de corde tout en IV sup. et V. Sans fausse honte, pour ma part, je sollicite parfois, sinon souvent. de mon invisible premier, un allégement de mon poids, un soulagement de mon souffle et de mes bras.' Yvan "le terrible" contrairement à la légende, me prodigue "ses bontés" à la demande. Tant pis pour lui aussi ! ne regrette-t-il pas un peu de nous avoir entraînés dans cette D sup. dans laquelle il excelle lui. Visiblement, il se fait plaisir, tandis qu'aussi visiblement, je me fais souffrir : souffrances éphémères et salutaires, il est vrai.
L'heure tourne vite, plus vite que nous le pensions. Depuis la brèche d*s. Carabinier^, nous avions l'intention, en surplus. pour terminer la journée, de gravir la dernière partie de la V.N. du Petit Capucin. Il était trop tard. Mais il reste une dernière longueur à grimper pour atteindre le relais sous la tête du Roi du Siam, soit les derniers passages difficiles, que je franchis sans élégance, c'est-à-dire sans scrupule pour l'esthétique. Seuls dans cette voie, nous n'avions personne derrière nous pour nous juger, mais était-ce suffisant pour nous disculper?
La brèche des Carabiniers entre le Roi du Siam et le petit
Mais ce qui devait arriver, arriva ! Au rappel de la corde, celle-ci se coinça 20 m plus haut ! Le guide, furieux et inquiet, remonta au Jumar pour réparer l'incident.
Conscients d'avoir perdu pas mal de temps, nous dévalons le couloir croulant qui nous mène au pied du Grand Capucin de la Combe Maudite. Il suffit de suivre une bonne trace à travers ce magnifique cirque glaciaire pour rejoindre le Col du Géant en passant au pied de la face Nord de la Tour Ronde, toute en glace en ce mois d'août, dans laquelle les cailloux jouent au toboggan.
Mais rien ne sert de courir, il fallait partir à temps! Il était trop tard pour rejoindre l'Aiguille du Midi par les petites bennes qui s'étaient immobilisées au-dessus de l'éblouissante Vallée Blanche comme un long chapelet rangé après la prière du soir. A l'arrivée à la gare Heilbronner, nos sympathiques cousins Valdotains nous firent remarquer que nous n'avions plus le choix qu'entre coucher au refuge de Torino ou descendre vers Entrèves avec la dernière benne sur le point de partir. Nous nous précipitons sans hésiter dans la cabine antique du téléphérique italien qui nous ramène près du Tunnel du Mont-Blanc. Pouce tendu vers l'entrée comme des habitués de l'auto-stop, nous trouvons deux voitures qui nous ramènent à Chamonix. Visiblement, notre trio n'avait pas l'allure d'auto-stoppeurs "professionnels". Nos aimables transporteurs, légitimement curieux, apprirent ainsi que nous avions, juste à l'aplomb du tunnel, à 2 500 m plus haut, rendez-vous avec le Roi du Siam. ce qui les intrigua énormément.
Notre jeune guide reconnut avec modestie, qu'en ce qui concerne les horaires des téléphériques, il manquait encore d'expérience. Confusément aussi, Yvan a dû prendre conscience qu'il devait surtout compter avec "celui qui va derrière". Depuis, nous lui avons pardonné cette fougue due à son talent, à sa jeunesse et à son tempérament méridional.
Quant à moi, sur le chemin du retour, je me suis surpris à philosopher et à m'interroger sur l'exercice de l'art de ne pas être grand-père. Je dois confesser que je n'ai pas encore trouvé les réponses satisfaisantes à cette question....
Edouard TISSIER

Fluide Hivernal au Cervin.


Ivano Ghirardini réalise la dernière ascension de la Walker du XXe siècle.


Franck et Philippe Henry, Ivano Ghirardini, la première à la Pointe Durier, Massif du Mont Blanc


La mince goulotte de Rêve Ephémère entre les pointes Marguerite et Young aux Grandes Jorasses


IVANO


Ivano Ghirardini a fait irruption dans le monde de l'alpinisme lors de son ascension dramatique du Linceul en 1975, puis en gravissant en un seul hiver (1977-78) les trois faces nord :Cervin, Jorasses, Eiger. Sa personnalité est très controversée. Il parle peu il est vrai, et pourtant il a beaucoup à dire. Beaucoup à donner peut être.

La première fois que j'ai entendu  prononcer le nom de Ghirardini c'était aux Bois. A Chamonix. Un hélicoptère redescendait ce jeune alpiniste de 22 ans récupéré quelque part sur le versant italien des Grandes Jorasses. Son nom m'était totalement inconnu. C'était à la fin de l'hiver 1975.
Puis un jour j'ai rencontré Ivan. Je ne me souviens plus où, ni quand. Je garde seulement le souvenir de son regard brûlé par une grande force intérieure. Il me parla de ses projets, sans s'étendre. A l'évidence ce marseillais d'origine italienne n'était pas de ceux qui se racontent facilement.
En 1978 à son retour de l'ascension hivernale de l'éperon Croz des Grandes Jorasses, il me donna quelques détails sur sa course. Très peu. Au retour de l'Eiger, il me dit simplement à propos de sa chute : « j'ai été orgueilleux »...
Il semblait vraiment difficile de pouvoir discuter avec lui. Certains ne cachaient pas qu'ils le tenaient pour fou. D'autres parlaient de ses dons extraordinaires.
Un jour enfin, peu après le stage de guide, il a commencé à me parler de lui, de ses espoirs, de son but, de ses conceptions...
« Je faisais des études à Marseille... Pour devenir ingénieur ou professeur de mécanique. J'avais 20 ans et mon premier contact avec la montagne, ce fut une randonnée dans la vallée de l'Ubaye. Je me souviens que nous avions des sacs énormes. Mais j'ai été heureux pendant une semaine... J'ai senti comme un appel vers la montagne »
Dès son retour Ivan se lance à la dé¬couverte de l'escalade. Près de Saint Auban où il habite, il parcourt toutes les voies des rochers de Saint Jean : « Je renais des risques énormes sans m'en ^"rendre compte. Je me faisais souvent très peur ». Un jour, même, il doit bivouaquer au sommet d'une voie de 20 mètres, en pull over.
C'est un livre qui va être le détonateur qui libérera ce garçon renfermé. Le livre de Walter Bonatti « A mes monta¬gnes ». « Sa lecture m'a fasciné je l'ai lu et relu. Ce que je faisais ne m'intéressait pas, je voulais mener une vie d'aventures. Le livre de Bonatti a été le point de rupture... J'ai décidé de partir ».
La rupture ne fut pas facile. Elle était néanmoins le point de départ d'une transformation, d'une quête dont la première étape serait l'ascension hivernale en solitaire du Linceul. La rupture c'était aussi une volonté : devenir guide, suivre la voie indiquée par Bonatti. Comme lui.
« Je ri ai pas d'admiration pour lui, et je n'aime pas ce mot... Non ! J'ai de l'estime plus exactement. C'est un alpiniste qui a su ne pas trahir sa philosophie. Ce que je souhaite, c'est reprendre ce qu'a fait Bonatti. D'abord parce que je suis de culture italienne et parce que sa démarche a été très spirituelle »
Le nom de Walter Bonatti revient souvent lorsque Ghirardini parle de montagnes, d'alpinisme. Il explique d'ailleurs sa position par rapport à lui : « Quand tu as un maître, tu l'imites, tu cherches à l'égaler. Et puis après tu cherches à le dépasser, à aller plus loin... »
Aller plus loin... Ce n'est pas une recherche de l'exploit, mais une quête plus philosophique. Ou plutôt, spirituelle.
Devenir guide est une gageure : en 1973, Ghirardini n'est qu'un débutant qui a gravi en tout et pour tout les Trois Évéchée's dans les Alpes du sud. Alors il s'entraine comme un forcené, donnant des cours de maths, de physique pour survivre. Il fait sa première vraie saison de montagne avec son copain Robert Chevallier : Pelvoux, Viso, Mont Blanc traversée depuis les Miages et... la Gervasutti à l'Aile froide.
Après cette saison il est plus décidé que jamais à devenir guide.
« Je n'avais qu'une toute petite saison de montagne derrière moi, et il fallait pour se présenter à « l'aspirant guide » trois ans d'expérience... Alors j'ai noté tous les noms de sommets des Alpes du Sud que j'avais gravi au cours de randonnées, toutes les petites voies que j'avais gravies dans l'Ubaye. Le souvenir de cette entorse fait sourire Ivan qui n'a jamais entretenu des rapports exceptionnels avec l'Ecole Nationale.
« Pendant le stage j'ai failli être jeté pour indiscipline ». Cette indiscipline, qui n'est en fait qu'une autre façon de manifester sa liberté, lui vaudra le conseil de discipline au stage de guide deux ans plus tard. Et la dernière place de sa promotion alors qu'il était très certainement en tête du palmarès... Tout cela n'a d'ailleurs pas grande importance.
« J'étais sûr
que rien ne pouvait
me détruire ».
Après le stage d'aspirant guide, Ivan va traverser une grave crise morale. Il évoque son enfance difficile d'immigré, sa famille nombreuse, parle une fois encore de Bonatti... « Je sentais que l'o,i pouvait faire mieux, que dans la vie il y avait quelque chose à comprendre de très beau... Alors je suis parti au Lin¬ceul... »
Au moment où fut prononcé le nom de Ghirardini, lorsqu'on le redescendit épuisé, gelé, peu de gens ont vraiment compris. Pour beaucoup, ce jeune aspirant-guide inconnu avait présumé de ses forces, avait commis des imprudences incompréhensibles. Personne en fait, ne percevait la démarche intérieure d'Ivan : « Le Linceul, ce n'est pas pour l'alpinisme... Je n'y suis pas allé pour faire une première, faire parler de moi... C'était seulement pour me remettre en question, pour essayer de comprendre... Quand je suis parti, je me sentais protégé, j'étais sûr que rien ne pouvait me détruire »
Après avoir remonté le premier tiers de la voie Desmaison, après avoir gravi les pentes de glace, il perd son réchaud, abandonne son matériel superflu et sort en solo intégral. Pendant six jours il attendra. Non la mort, mais le salut ! De cette étonnante aventure, Ivan a fait le récit dans la Montagne et Alpinisme.
« Grâce à l'escalade solitaire, j'apprenais à contrôler mes pensées, à dominer ma peur, à dialoguer avec moi-même, et, enfin, à m'auto-éduquer. Je découvris ainsi ma médiocrité et celle de notre monde absolument invivable. J'avais la nette conscience d'être un dégénéré, comme presque tous les hommes de cette planète. Les quatre premiers jours n'ont pas d'histoire et il serait fastidieux de les raconter. A mesure que je m'élevais dans la grande paroi, je perdais la notion du temps. Dans cette solitude totale, j'oubliais la fatigue, la soif, la faim, le froid. Malgré la glace noire, vitrifiée et cassante du Linceul, je n'avais plus conscience du danger, des difficultés. Je franchissais de longs passages sans auto-assurage, en équilibre précaire sur les pointes avant de mes crampons qui pénétraient de quelques millimètres seulement. Je perdais de longues minutes sans y faire attention à observer quelques bulles d'air dans la glace ou un petit lichen sur le rocher. J'en arrivais à oublier que je devais atteindre le sommet. Seule la très grande raideur de la pente m'obligeait à réaliser ma position et à progresser vers le haut ».
« Le mercredi 26 février, j'installai mon bivouac sur l'îlot rocheux isolé au milieu du Linceul. En changeant de cartouche, je perdis le joint d'étanchéité de mon réchaud et je dus le jeter. Je me débarrassai aussi de ma réserve de gaz, des vivres déshydratés devenus inutilisables, de la viande séchée et du lard que je ne pouvais plus supporter. Toute la nuit, pour étancher ma soif, j'ai sucé des glaçons. Ma bouche était amère et brûlante mais je restais serein. J'aurais pu redescendre facilement : une vingtaine de rappels et j'étais au pied de la face, sauf. Mais je n'étais plus libre de mes actes et je devais continuer. J'abandonnai à contrecœur du matériel d'escalade et mes deux cordes de 40 m pour m'alléger. C'est en solitaire intégral, avec un sac encore très lourd, que je décidai de rejoindre l'arête des Hirondelles. Tous les dix mètres je m'arrêtais épuisé, pour reprendre mon souffle et soulager les crampes de mes mollets. Jamais je n'avais autant souffert. La moindre faute de cramponnage et c'eût été la grande glissade avec, au bout, la mort. La peur qui lentement s'insinuait en moi augmentait ma fatigue ».
« Après un bivouac glacial dans une niche de rocher, j'assistai à un lever de soleil sur le Valais ; inoubliable ! Après cinq jours passés dans l'ombre sinistre de la face nord, ses rayons me réchauffaient malgré le fort vent du matin. Jerepris ma progression ; j'étais fatigué, fatigué à mourir. Je dus me débarrasser avec peine du matériel qui, depuis le début, m'aidait au cours de mes ascensions solitaires comme les fidèles outils d'un artisan. Parfois, ma vue se brouillait, mes jambes fléchissaient, et je devais inspirer fortement par le nez pour retrouver mes sens. Il me restait seulement trois biscuits complets et quelques morceaux de sucre mais je n'avais plus faim. Vers midi, j'atteignis la jonction avec l'arête du Tronchey. Le sommet était là, tout proche, et j'allais l'atteindre lorsqu'un hélicoptère approcha. Je fis le signal conventionnel de secours pendant qu'il tournait autour de moi. Puis j'eus une réaction imprévisi¬ble : je me mis à courir vers le sommet. Les sauveteurs me croyant en pleine forme s'éloignèrent.
« Au sommet je me suis effondré en pleurant. Sans doute était-ce à cause de la déshydratation ou de l'épuisement. Lorsque je parvins à me redresser, ma tête se mit à tourner et je faillis basculer par-dessus la corniche dans la face nord. Après un long repos, je commençai à descendre vers Courmayeur. J'enfonçais dans la neige jusqu'aux genoux ; tous les dix pas je m'arrêtais, parfois je tombais. Arrivé au niveau des rochers du Reposoir, je m'arrêtai définitivement. J'étais descendu trop bas et ne pouvais plus remonter. Le soir, un hélicoptère rouge venant du col des Grandes Jurasses fonça droit sur moi. Pour la troisième fois, je fis les signaux de secours, mais les sauveteurs qui sont passés exactement au dessus de moi ne me virent même pas. Au loin, une grande barrière de nuages venant d'ouest avançait lentement : c'était le mauvais temps ».
« Le jeudi 6 mars, vers 11 h du matin, l'hélicoptère arriva. Dans la nuit, j'avais été averti de sa venue.
Ainsi Ghirardini, décrivait-il, il y a 3 ans, sa solitaire du Linceul, et son sauvetage. Qu'en pense-t-il aujourd'hui ?
« Tu sais, un alpiniste qui se trouve comme ça en état de survie, peut mourir très facilement. Il renonce à se battre et un quart d'heure après il est mort .'... Même pendant la course j'ai failli craquer, mais chaque fois je trouvais de nouvelles ressources d'énergie... J'ai senti alors qu'on n'était pas fait seulement de chair, de muscles, mais aussi d'esprit. Et c'est lui qui compte. Je me suis aussi rendu compte qu'on n'était jamais seul et que si l'on sait être réceptif, on entre en contact avec des forces qui nous dépassent. On peut les appeler Dieu ou n'importe quoi d'autre... »
La crise du Linceul et, plus tard les trois faces nord : ce sont les pierres mi-liaires de l'itinéraire spirituel d'Ivan Ghirardini, que beaucoup jugent sans le connaitre, que beaucoup qualifient de mystique comme pour le rejeter dans une certaine marginalité.
Ivan Ghirardini rejette cette image de mystique : « C'est seulement quand on a un corps en bonne santé, un esprit que l'on essaye de purifier, que l'on peut être réceptif aux choses spirituelles » Et s'il vit une mystique c'est celle de l'homme, un homme qui serait à l'image du divin.
« L'homme, dit Ghirardini, doit passer par trois étapes. Il est d'abord homme, puis devient homme libre. Après seulement il peut devenir maître, c'est-à-dire maîtriser corps et esprit. A ce moment là il peut atteindre l'union avec ce qui le dépasse ».
Ce point ultime vers lequel doit tendre l'homme pour devenir maitre prend d'ailleurs des aspects rousseauistes lorsque Ivan dit du divin qu'il est la « respiration des choses ». Sa religion, s'il en aune, c'est celle de la vie, « la vie qui est tellement agréable, tellement fantastique, la plus belle chose que l'on ait » . Et, pout lui « passer quarante ans à travailler pour un métier sans intérêt, c'est gâcher sa vie... >•
L'expérience du Linceul n'a pas été positive '. « J'étais tellement traumatisé par ces journées si dures qu il m'a fallu au moins deux ans pour m'en remettre ».
Deux années séparent le Linceul des trois faces nord, Cervin, Jorasses et Ei-ger. Mais pourquoi justement ces trois faces ? « Elles ont été pour moi un nouveau moyen de me dépasser, de me prouver que je pouvais réaliser des choses extrêmes... il fallait que je reprenne Confiance en moi après l'impasse, issue lu Linceul.. Et si j'ai choisi ces trois "aces, c'est parce que j'ai toujours été captivé par les « trois derniers grands problèmes » parce que Bonatti avait voulu les faire et n'avait pas pu... »
« II y a trois étapes : l'homme, 1' homme libre et le maître ».
Il y a pourtant des moments où l'envie vous prend de mettre Ivan face à ses contradictions. Sa recherche par exemple, comment peut-elle être compatible avec un travail de conseiller technique ? La question fait sourire Marie Jeanne, sa compagne, quant à Ivan « ma recherche passe par des outils... Si je n'avais pas eu des outils appropriés jamais je n'aurais pu gravir les trois faces nord... J'aime beaucoup ce travail de conseiller technique, mais il faut le débarrasser de cette publicité tapageuse, il faut revenir au rôle initial, celui de contact entre le fabricant et l'utilisateur... »
Et le métier de guide, où est sa place dans cette recherche ? « Je voudrais innover. .. Par exemple je fais des stages , d'alpinisme hivernal. Tu sais je ne conçois pas mon métier comme un guide-taxi où l'on prend le gars, on le monte, on l'emmaillotte presque !... Ce que je veux c' est que le gars qui est avec moi apprenne à se débrouiller tout seul... » D'ailleurs la recherche d'Ivan se poursuit dans l'accomplissement du métier de guide « J'aime prendre des risques avec un client, l'amener à dépasser ses possibilités. C'est d'ailleurs
plus difficile qu'une course solitaire. Car en solo on cannait ses limites, par contre dans une grande course avec un client c'est toujours l'inconnu... ça de¬mande un grand engagement, ça de¬mande de rester conscient de ses responsabilités, parce que le gars, il remet sa vie entre tes mains ! »
Mais guîde de haute montagne cela ne suffit pas à son besoin d'absolu, à son besoin d'engagement. Car Ivan Ghirardini se veut un alpiniste « engagé ». « Ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est de dépasser le guide de montagne pour devenir... guide d'homme, arriver à un tel degré que je puisse faire participer les autres à ce que j'ai ressenti.. Ce que j'ai senti dans mes faces nord, c'est que j'étais protégé par quelque chose de supérieur... Cà ne m'intéresse pas de me faire un grand nom. L'époque des héros est finie. Les derniers ont été Desmaison ou Bonatti. Et d'ailleurs, même si je voulais en être un, je n'ai pas leur capacités.                                   
A tout moment, alors que nous buvons une tisane, Ivan revient sur sa recherche spirituelle : « Tu vois l'alpinisme, ce n'est qu'un moyen d'y arriver. Moi j'ai besoin de sentir mon corps, d'autres se retirent dans des monastères. Saint Vincent de Paul y est arrivé en soignant les malades... Ce que je crois c'est qu'aujourd'hui nous sommes nombreux à faire cette recherche, notamment par la pratique des sports de risque... D'ailleurs je ne me sens pas marginal, je connais beaucoup de gens de mon âge qui souhaitent une civilisa¬tion plus spirituelle, plus humaine... Plus libre aussi ».
Lorsque Ivan parle de ce qu'il croit, de ce qu'il pense, sa voix prend des intonations nouvelles, il s'exprime plus rapidement. Ainsi lorsqu'il évoque l'introduction du 7e degré dans l'échelle des difficultés : « C'est complètement bidon » dit-il en souriante! ajoutant aus sitôt « Je connais des gars qui ont côtê7. Ce sont des super-grimpeurs bien plus forts que moi » ... Mais pour Ivan le 7e degré c'est autre chose. « On a tort de placer le 7e degré après le 6e degré. Pour moi le VI reste la limite des possibilités... Le 7 c'est d'abord quelque chose d'intérieur. Ce n'est pas un « passage » que l'on doit coter 7, mais l'homme lui même... Ce chiffre 7 a une place capitale dans l'ésotérisme, il est la représentation graphique de l'homme qui s'est réalisé, du maitre. Bien sûr on peut atteindre le 7 par la pratique de l'alpinisme, mais pas uniquement. Tu vois Bouddha ou le Christ étaient « 7 ».
« Ce qui m'intéresse dans le 7 c'est la notion d'idéal, d'ultime ».
L'idéal, l'ultime, deux mots qui cernent bien la personnalité d'Ivan Ghirardini. Il a pris une place importante dans l'alpinisme contemporain, presque à son insu. Pour ce guide de 26 ans, ce n 'est pas 1 ' ascension qui compte. Ou pas celle qu'on croit.
Mais bien ce que l'on découvre soi-même « quand le corps et l'esprit deviennent réceptifs à tout dans ces grandes cathédrales ».
Bernard Lagarrigue
Alpinisme et Randonnée

K2, quelques images en souvenir des amis disparus.


mardi, novembre 10, 2009

Ivano Ghirardini, huit ascensions de la face nord des Grandes Jorasses, quatre premières


GRANDES JORASSES

Goulotte entre les pointes Walker et Whymper
Eté 94 Face nord
Première ascension solitaire par S. Sveticic le 15 juin en treize heures de la voie Extrême dreams (Boivin - Vionnet Fuasset -1987). C'est la troisième ascension seulement de cette voie, répétée en août 1994 par les Polonais J. Fluder et J. Golab.

Goulotte entre les pointes Marguerite et Young
Printemps 94 Versant nord
Ivano Ghirardini a inauguré une goulotte entre les pointes Young et Marguerite dans le versant nord. Le 22 juin, 600 m sont remontés avec S. Sveticic mais les 150 m les plus diffi¬ciles ne peuvent être achevés à cause du manque de glace. Le Slovène préfère sortir par l'antécime et Ghirardini termine le lendemain, 23 juin, en solitaire la goulotte jusqu'à la brèche pour rejoindre le sommet de la pointe Young. Très bel itinéraire tenté en août 1993 par Lafaille et Twight.

Photo : La face nord des Grandes Jorasses
1.    Le linceul
2.    l’éperon Walker
3.    l’éperon Croz
4.    Rêve Ephémère
5.    Cristal Palace

Didier Savignat, Ivano Ghirardini, première dans la face sud de l'aiguille du Midi


Alpinisme
Une première pour Ivan Ghirardini dans la face sud de l'Aiguille du Midi

Chamonix. — Après une première tentative en novembre qui a échoué en raison de l'arrivée du mauvais temps, le guide Ivan Ghirardini et Didier Savignat, tous deux de Chamonix ont réussi le week-end dernier leur projet : Une nouvelle voie dans la face sud de l'Aiguille du Midi (3842 mètres).
Ce nouvel itinéraire se situe tout à fait à gauche de la paroi qui compte de nombreuses voies dont de droite à gauche les voies Kohlman, Contamine, Rebuffat, Mazeaud, pour ne citer que les plus-connues.
Un itinéraire de 200 mètres de
haut côté TD plus par les grimpeurs, ce qui montre sa haute difficulté. Il faut déjà attaquer l'ascension par deux pas d'escalade artificielle avant de grimper
en libre suit une longueur très dure de 35 mètres un dièdre en VI suivie d'une fissure elle aussi gravie en Artificiel (AI). Après un très bon relais, la voie se développe dans une fissure déversante (VI et A1). On repart à gauche pour une dulffer (VI A1) ; à ce niveau les difficultés sont comparables à la face sud du Fou. Puis survient une très dure fissure en VI athlétique. Finalement, l'itiné¬raire original rejoint ta sortie
Cretton après une succession de fissures et de dièdres.
Difficulté d'ensemble donc très soutenue dans du très bon ru¬cher. Elle est restée équipée dans les passages en artificiel.
Les deux hommes ont bivouaqué dans la paroi, étant parti le samedi matin, ils ont terminé dans la journée de dimanche,
mais le clair de lune aurait pu leur permettre de poursuivre leur ascension dans la soirée.
Cet itinéraire impressionnant dont la première a été réussie dans des conditions météo exceptionnellement clémentes à cette période de l'année (presqu'une hivernale), peut être répété dans la journée.
Les candidats à cette aventure* devront se munir de coinceurs et de friends.
Ivan Ghirardini, grand spécialiste de l'alpiniste 'solitaire de haut niveau et son compagnon de cordée .ont -appréciée sur ce versant sud le soleil de décembre.              ,
J.P. ROUDIER •
Notre photo : Ivan Ghirardini a dessiné lui même l'itinéraire de sa « première ».

Joshua Geetter, Ivano Ghirardini, Une première à l'Aiguille Noire de Peuterey


MONTAGNE
Nouvelle première pour Ivano Ghirardini

Le guide chamoniard a ouvert un itinéraire dans la face nord-nord-ouest avec l'américain Joshua Geetter
Chamonix.- Il semble que le guide et fabricant de vêtements d'alpinisme de Chamonix Ivano Ghirardini veuille faire un véritable retour à la montagne. Un mois après avoir signé la première solitaire de la pointe Young dans la face Nord des Grandes Jorasses, il vient d'ouvrir un nouvel itinéraire dans la face nord-nord-ouest de l'Aiguille Noire de Peuterey, sur le versant italien du mont Blanc. Cette ascension, il l'a réalisée avec n guide californien 28 ans, Jo¬shua Geetter, habitué aux « Big Wall » américains.
Selon Ivano Ghirardini, cette face n'a jamais été gravie depuis le glacier de la Brenva. Longue de 900 m, elle semble très engagée et 27 longueurs ont été nécessaires
pour que les deux guides en viennent à bout : « Dans le bas », explique l'alpiniste chamoniard, «le rocher est assez bon. En revanche, il est très difficile et délicat dans le haut. La disparition presque totale du névé supérieur a fait apparaître des dalles couvertes de poussières et de blocs très instables qui ont rendu la fin de l'ascension dangereuse. »
• Indiana Stones
Partis d'Entrèves, ils ont bivouaqué pendant la marche d'approche et sont parvenus au pied de la face en milieu de journée. Dès le
départ, ils se sont retrouvés sur des dalles compactes et exposées pour rejoindre en trois longueurs le glacier suspendu dans le bas de la paroi. Ivano Ghirardini et Joshua Geetter
Ivano Ghirardini avant l'attaque de la voie. Derrière lui, l'itinéraire ouvert avec Joshua Geetter.
Joshua Geetter en action.
l'ont remonté par son bord gauche afin d'accéder à une cheminée barrant la face en diagonale. Après un second bivouac, ils se sont alors attaqués à la partie la plus délicate de leur aventure (pas¬sages délicats en 5 et 6). Cepen¬dant, le mauvais temps les a contraints à sortir sans passer par le bastion terminal qui, selon I. Ghirardini, devrait pouvoir être gravi par une escalade très technique et de difficulté soutenue. Pour lui, «Indiana Stones» (Ils l'ont baptisée ainsi) est une voie cotée E.D. et lui a semblée plus difficile que la Walker ou l'éperon Croz, dans la face nord des Gran¬des Jorasses.
Après cette ascension, les deux guides n'ont pas l'intention de prendre des vacances, ils envisagent en effet de tenter d'autres ouvertures de voies dans le massif.
A près de 40 ans, Ivano Ghirardini montre que les années passées dans la petite industrie n'ont rien entamé son envie de grimper.
Alain ROUX

Imamdad Karim, Ivano Ghirardini


Le Saint-Aubanais Ivano Ghirardini à l'assaut des sommets de l'Himalaya
SAINT-AUBAN. - Le guide de haute montagne Yvan Ghirardini va tenter une seconde expérience sur les prestigieux sommets de l'Himalaya. La première fut effectuée du 15 juin au 10 octobre 79. où il participa à une expédition nationale au K 2 dirigée par B. Mellet et qui fut hélas défavorisée par le mauvais temps. Une satisfaction cependant : celle d'avoir battu des records de durée en haute altitude : douze jours passés à plus de 7.500 mètres, trois assauts à 8.000 mètres et aussi un bivouac solitaire à 8.350 mètres sans bouteille d'oxygène. Cette expédition prouva que la vie était possible en très haute altitude avec de l'acclimatation,
DEUX HOMMES POUR DEUX SOMMETS
Avec Karim Imamad un grimpeur pakistanais de 25 ans, rompu aux plus dures expéditions, le Saint-Aubannais Y. Ghirardini s'est fixé deux objectifs en Himalaya du Karakorum, Le premier comportera l'ascension en technique alpine de la Tour de Trango. un sommet de granit dressé dans le ciel comme un cierge de 6.770 mètres. Cent kilogrammes de matériel et de vivres devront être acheminés vers un camp de base avancé, au pied de la Tour. Après quelques jours de repos à Urdukas, les deux grimpeurs tenteront de se hisser au sommet du Mitre-Peak (6.500 mètres), encore vierge et glacé, et une pente supérieure à 70 degrés.
En cas de réussite, cette expédition qui partira en mai 80
marquera incontestablement une étape dans la conquête de l'Hima¬laya avec la première ascension en technique alpine de ses sommets. Yvan Ghirardini ayant aussi l'intention de faire quelques tentatives en solitaire, ce sera la première fois que de telles difficultés seront abordées par un grimpeur isolé. Souhaitons-lui de pouvoir inscrire ces deux prestigieux som¬mets à son déj$ célèbre palmarès.
Notre photo :
Karim Imamad et Yvan Ghi¬rardini (de gauche à droite) étudient leur périple qui débutera en mai.
(Photo MA. Saint-Auban.)

Ivano Ghirardini, en attendant Jésus.


Un palmarès, une personnalité, une réputation de mystique : Ivano Ghirardini invoque Dieu se dit fou et surfe sur les jours.
En dépassant mes limites, j'ai enfreint les lois de la nature... » Ainsi s'exprimait Ivan Ghirardini après une aventure solitaire de douze jours dans le Linceul en 1975. Pour ce fils d'immigrés italiens âgé de trente ans, l'alpinisme est un art qui exige créativité et audace: Trilogie de l'hiver 78 (trois faces nord en solo : Cervin, Jorasses, Eiger), Mitre Peak en solo, tentative solitaire hivernale au pilier ouest du Makalu. Individualisme et audace également dans ses orientations professionnelles : Yvan a ouvert une école d'alpinisme à Chamonix et fabrique sous son nom des équipements d'alpinisme.
Alpinisme et Randonnée : Pourquoi et quand la montagne ? Es-tu toujours motivé de la même manière ? Ivan Ghirardini : J'ignore ce qu'est la montagne pour un Français, mais pour un Italien, c'est avant tout de l'art. Comici, Gervassutti, Cassin, Bonatti, Cassarotto et même Messner sont des artistes. Motivé ? pourquoi faire ? l'art n'est pas une question de motivation.
Mode de vie, entraînement, régime, discipline de vie ?
Je le répète, l'art est très individualiste, sensitif, palpeur. Lors du Linceul, [ai jeté les cigarettes et la viande. Pour la Trilogie de 77/78, je suis allé prier Zeus sur le mont Olympe de m'exaucer et me protéger. Il faut sen¬tir et se bâtir son propre art de vivre, sans contraintes, saur celles que l'on se choisit mais ce n'en est pas car tout devient joie et plaisir.
Quelles sont tes opinions politiques, religieuses, ta philosophie ?
Faire le moins de tort possible à autrui et c'est déjà beaucoup. Je crois à un retour en force du Christianisme pur et primitif des premiers âges. Les océans vont frapper aux portes des villes. Les mains vont se lever. Les hommes voudront de nouveau tuer les chrétiens comme au début. Je crois au retour prochain du Christ. Lui seul est maître et roi.
Lesgens, les situations, les lectures qui t'ont le plus marqué?
Laskar Khan qui est mort dans mes bras au K2, des coups reçus par des gens à qui j'avais donné ma confiance et qui avaient appelé les gendarmes pour m'accuser de violence chez eux si je les avais rendus. Je n'aime pas la Bible, sauf le Nouveau Testament car ce n'est qu'un recueil d'assassinats, vols, mensonges, rapines et adultères, avec quelques pages très belles toutefois. J'aime « Guerre et Paix » de Tols¬toï, Thycidide, Homère, Racine...
Es-tu bien dans ton époque ? Dans ta peau ?
J'aime la Grèce antique. J'ai vu Delphes et Olympie et j'ai compris leur « art » de vivre. Bien dans ma peau ? Je ne sais pas car je suis fou, mais j'aime et ça me surfit. Je ne regrette rien, même mes pires bêtises. La vie passe, il faut glisser, surfer sur les jours, veiller, veiller sans cesse car notre petite loupiote va bientôt s'éteindre.
L'alpinisme aujourd'hui ? Demain ?
Je me fous de l'alpinisme mais chaque fois que je vois une montagne j'ai envie de faire comme Mahomet dans le désert, enlever mes chaussures et crier: « Merci Montagnes Divines, Merci pour votre infinie beauté Vous êtes les cathédrales que Dieu a bâties pour nous et vous escalader est notre prière. »
L'Himalaya ?
Une insulte contre les droits de l'homme. Payer pour une montagne c'est faire de ces déesses de jadis des putains à des milliers de dollars la passe. Le Népal, le Pakistan, l'Inde et la Chine ont trahi la conscience de leurs peuples, de ces gens qui jadis venaient de loin les prier et porter des offrandes. Grimper n'est pas salir. Louer, mettre des barrières ou des policiers pour contrôler l'accès c'est « Voler Dieu ». Les premiers responsables de cela sont les fédérations d'alpinisme et ensuite les grimpeurs professionnels qui dès le début ont voulu tricher en éliminant par des autorisations et des royalties toute concurrence. Se réserver une montagne, une voie pour trois mois ou une saison, voilà leur crime devant l'histoire en général et celle de l'alpinisme en particulier.
Pourquoi une école d'alpinisme ? Est-ce que ça marche ? Tes rapports avec les guides traditionnels?
J'ai été un des plus mauvais élèves de l'ENSA. J'ai failli me faire jeter deux fois et pourtant j'ai eu la bourse de la vocation. Je veux faire comme je sens, vois, pas m'intégrer à des structures. J'ai été heureux de faire la Walker sous la tempête avec un client alors que personne d'autre n'avait pu passer pendant un mois. C'était contraire à toute logique, prudence mais ça a fait et nous étions heureux.
Fabrication de matériel : comment, pourquoi, avec qui ?
C'est la même folie. Je ne supportais plus d'être conseiller technique. Pourtant de très grandes marques m'avaient engagé ou contacté : Lafuma, Eider, Galibier, Pipolaki, mais avant d'aller au Makalu ['ai tout laissé tomber. Je ne voulais pas devenir un homme sandwich. Le loup et le chien. Du jour au lendemain je me suis re¬trouvé sans rien mais libre et heureux, c était le maximum que l'on puisse demander. Pour le reste, il faut se retrousser les manches. Non pas travailler mais être actif. Ça marche très fort car nous avons la qualité à des prix imbattables et nous vendons directement.
Qu'est-ce qui te fait vivre ?
D'abord est-ce que je vis vraiment? Non, sûrement pas. Si la vie était en moi, je marcherais sur l'eau, je trouverais la porte et le chemin. « Tu étais la vie, Toi, qui marchais dans les déserts de Galilée et de Judée, soignant par la simple imposition des mains. Les foules voulaient te toucher. Nous ne te comprenions pas. Nous t'avons trahi et Toi tu nous as pardonnes, parce que jusqu'au bout tu nous a laissé notre Chance. Nous sommes indignes, mauvais, impurs et le comprendre c'est déjà se mettre en route pour te retrouver. Oh Toi, la lumière et la vie ! »

Alpinisme et Randonnée 64

Ivano Ghirardini, Eperon Croz, première Trilogie


IVANO GHIRARDINI EN SOLITAIRE A L'EPERON CROZ :, un exploit alpin de très grande envergure
Ces derniers jours, l'éperon Croz, premier itinéraire ouvert sur la face Nord des Grandes Jorasses en 1935, par les Allemands Peters et Meier, a été le théâtre d'un exploit alpin de grande envergure:
En effet, le guide Yvan Ghirardini de l'Association Indépendante des Guides du Mont-Blanc, qui avait déjà réalisé la première solitaire hivernale du Linceul en février 1975 et plus récemment la seconde de la voie Schmitt au Cervin (en 9 heures), vient d'inscrire dans le même style, une nouvelle grande première à son palmarès : la première ascension solitaire hivernale de l'éperon Croz, l'un des plus sévères itinéraires du massif du Mont-Blanc.
Parti à skis le vendredi 6 janvier pour rallier le pied de la voie et après y avoir bivouaqué, le grimpeur a passé trois jours dans cet itinéraire mixte comportant de nombreux passages délicats. Le premier jour, il atteignait environ le premier tiers de la voie et installait son bivouac sur l'arête entre le 2e tour et le névé médian, le second jour, il bivouaquait au sommet du névé supérieur et enfin, rejoignait le sommet le lundi 9 vers 15 heures.                                                                                   ,
Alpiniste de très haut niveau. Yvan Ghirardini ne s'est assuré qu'une dizaine de fois au cours de cette ascension, où il a. rencontré de nombreuses zones de glace noire. l( n 'a par ailleurs, trouvé que huit pitons dans la voie, ce qui est peu pour les 1000 mètres sur lesquels  se déroule l'escalade. De l'avis du guide, la goulotte entre la première et la 2" tour, l'arrivée à la 2* tour et la sortie du mur précédant le névé supérieur, ont constitué les plus grandes difficultés de la course.
A la sortie du mur en question, le grimpeur dut même se 'débarrasser de sa corde d'auto-assurance, celle-ci étant restée coincée derrière un becquet. Un autre incident devait survenir une centaine de mètres sous le sommet. En effet, alors qu'il était en train d'essayer de récupérer un piton, le marteau à glace d'Yvan Ghirardini se cassait sous l'effet du froid. Après avoir rejoint le sommet, il enchaînait la descente qui le vit bivouaquer une nouvelle fois sur le glacier de Planpincieux. A l'heure où l'alpinisme hivernal prend des formes discutables et discutées, il est à noter que cet exploit a été réussi sans aucun appui logistique, et dans le plus pur style alpin, le grimpeur n'ayant emporte qu'un sac d'environ 10 kg avec trois jours de vivres, une corde de 35 m en 9 mm pour /'auto-assurance, et une autre de même longueur mais en 7 mm destinée à servir en cas de redescente.
Cette ascension classe définitivement Yvan Ghirardini parmi les grands alpinistes solitaires du moment. Rappelons que Jean Afanassieff avait réalisé la 1" ascension solitaire de cet éperon en août 1972, tandis que la cordée Nominé-Marmier » sortait »-la 1'" hivernale en février 1971.
Notre photo. — La face Nord des Grandes Jorasses: en pointillés, I itinéraire suivi par le grimpeur et les emplacement de bivouac.

Alpinisme et Politique, un petit conte d'Ivano Ghirardini.

ALPINISME ET POLITIQUE
Par Ivano GHIRARDINI

Sur ce sujet épineux, J'avais bien des choses à dire, mais mon discours était tellement ennuyeux que je renonçais vite. Je préférais exposer mes conceptions à travers un conte purement fantaisiste qui n'a qu'une ambition : vous faire rêver un peu.
Le soleil était fou de colère ! Il criait dans un ciel de braise : « disparaissez, hommes de peu de foi, retournez à la poussière dont vous êtes issus !» Il voulait tout détruire, ne laisser de ce monde indigne qu'un tas de cendres. La chaleur devenait peu à peu effroyable, le sol se craquelait, les arbres séchaient et se tordaient de douleur, les fleuves se tarissaient. Il ne resta bientôt plus qu'une vaste steppe désolée. Les hommes avaient fui et ils périrent nombreux avant de se réfugier dans des grottes sur les flancs d'une montagne. L'un deux pourtant était resté dans la fournaise et il priait à genoux. Les rayons enflammés du soleil ne semblaient pas l'atteindre. Lorsque son heure fut venue, il se leva et marcha vers le soleil. Du haut d'une montagne, il leva ses yeux doux vers lui et dit :
« oh Père tout puissant, pourquoi cette colère soudaine ? Ces hommes ne méritent-ils pas une autre chance ? Si un seul parmi eux est encore dans le bon chemin ou peut le trouver, épargne-les tous. »
Le soleil parut réfléchir et bientôt sa colère s'apaisa.
« Vas homme juste, dit-il, ta prière est exaucée. Dorénavant, je n'interviendrai plus dans les affaires des hommes, mais tout le mal qu 'ils feront retombera sur eux. »
La chaleur cessa brusquement, un vent froid venant des montagnes se mit à souffler. De gros nuages noirs s'amoncelèrent, éclatant un peu partout en orage. La terre pansait d'elle même ses plaies.
L'homme aux yeux doux retourna vers les siens. Ils sortaient par groupes des flancs de la grotte et se rassemblaient dans la plaine brûlée. Ils mesuraient toute l'étendue du désastre et de leur détresse. Lorsque l'homme parut devant eux, tous regardèrent celui que le soleil avait épargné. Il parla ainsi :
« Ecoutez ma parole et vous serez sauvés car ma parole est vie et celui qui la mettra en pratique vivra. »
A ces mots, la foule cria : « Dis-nous cette parole afin que nous aussi nous vivions et que plus jamais le soleil ne nous brûle ! »
« Ce que je vais vous dire, je ne le sais pas   de   moi-même,   mais   de celui qui m'a envoyé... » II ne put continuer car un jeune homme   aux   yeux   de   feu   avait
brusquement jailli de la foule et lui avait coupé la parole. « Assez ! Assez ! Jusqu’ à quand serons-nous assez crédules pour écouter celui qui veut nous ramener à son père ! Mais si son père était juste et bon, pourquoi voulait-il nous réduire en cendres après nous avoir donné la terre en héritage ? Jusqu'à quand aurons-nous besoin de prophètes et de dieux ? Bâtissons un monde d'hommes, fait pour les hommes !
Il ouvrit sa tunique, montra son torse nu au soleil et cria :
« Pour l'acte que je vais accomplir, je mérite la mort, mais je ne la crains pas. Si tu es vraiment notre dieu, foudroie-moi sur place ! »
II se baissa, prit une pierre et la lança avec violence.
L'homme aux yeux doux la reçut en plein front ; un épais sang rouge jaillit. Il regarda tristement celui qui l'avait jetée, leva les yeux au ciel et s'effondra en disant :
« Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu 'ils font. »
Tous les autres hommes prirent aussi des pierres et les jetèrent jusqu'à ce que le corps soit enseveli.
Celui   qui   avait jeté   la   première pierre s'appelait NAO. Il montrait toujours son torse nu au soleil, mais, n'ayant pas de réponse, il se tourna vers la foule qu'il embrasa de ses yeux de feu :
« Preuve est faite, mes amis, que cette terre est notre héritage. Notre sort ne dépend plus que de notre courage et de notre intelligence. Construisons un monde où il fera bon vivre. »
Ces paroles touchèrent les cœurs et la foule acclama NAO. Il fut appelé "guide". Sous sa conduite, ils marchèrent des jours et des jours avant d'arriver au Pays d'OR-BAAN. Ce nom voulait dire, dans leur langue, pays de-fleurs et de miel. Seuls les plus forts avaient survécu à la fournaise et à la longue marche. Avec enthousiasme, ils bâtirent leur cité, domestiquèrent le grand fleuve pour utiliser sa force et son eau. Bientôt, du sable, poussèrent des arbres à fruits et des plantes comestibles. Ils se construisirent des maisons agréables avec partout des jardins fleuris, des fontaines et de grands arbres. Ils inventèrent des machines pour se libérer du travail banal et se répartirent équitablement les tâches ingrates et les richesses. Ils voulaient que la vie soit une joie et ils ne cherchaient pas celle-ci dans la mollesse des moeurs, mais dans un effort individuel et collectif pour "Etre". Ils s'adonnèrent avec passion aux arts et à la science. Très souvent, ils se réunissaient sur une colline proche de la cité pour discuter politique, philosophie, ou tout simplement des affaires courantes. Tout le pouvoir était concentré dans les mains de NAO. Il avait droit de ,Tie et de mort. Toute décision importante passait par lui et pourtant, il ne dirigeait rien. Il savait depuis longtemps que son pouvoir n'était qu'apparence, à moins d'agir avec subtilité. A ces assemblées, NAO évitait toujours de prendre la parole ; il se contentait d'écouter. Ce qu'il écoutait, ce n'était pas les propos tenus ou les idées émises, mais ce qu'il y avait derrière, l'état d'âme de la foule en quelque sorte. Tout son art consistait non pas à flatter ou à dire ce que les hommes
d'ORBAAN voulaient qu'il dise, mais à garder le cap. Sa politique obligeait sans cesse à l'effort et à la remise en question de l'acquis. Devant l'abondance des richesses rapidement obtenues, les mœurs se relâchèrent et bientôt, une multitude voulut se débarrasser du "guide" qui les gênait et dont l'ascétisme témoignait contre eux. La fin était proche et NAO le savait.
Il quitta la cité et se retira plusieurs semaines près du grand fleuve dans sa petite maison de campagne où il aimait faire retraite. L'Opposition profita de son absence pour éclater au grand jour et prendre des chefs afin de la débarrasser de NAO. Ils attendirent son retour pour proclamer sa chute. Lorsque le "guide" retourna dans la cité, il convoqua aussitôt l'assemblée. Dans un grand silence, tant le respect qu'il imposait était grand, il s'écria :
« Hommes d'ORBAAN, vous voulez dès à présent manger le fruit des récoltes que vous n 'avez pas semées, des arbres que vous n 'avez pas plantés. Prenez garde qu 'ils ne vous empoisonnent à petit feu, car toute chose ici-bas se mérite et n'est-il pire ennemi que la facilité et l'intempérance. Si ce pays est à présent un paradis, sachez qu'il y a peu de temps encore, c'était un désert où les faibles ne pouvaient survivre. Vous vous dites, tuons NAO et nous aurons l'héritage d'ORBAAN, mais prenez garde que cet héritage ne vous détruise aussi ; d'ores et déjà, votre chute est consommée. »
A ces mots, les chefs de l'opposition prirent des pierres pour le lapider, mais la foule désapprouvait ce geste. NAO fut destitué et condamné à l'exil. Il se leva et partit en silence sans rien emporter pour son voyage. Certains voulurent le retenir, lui offrir quelque nourriture ou vêtement, mais il leur répondit «sachez qu'un homme naît nu et seul et c 'est ainsi qu 'il meurt. Toute mort est pourtant une renaissance.»
Pendant quarante jours, il marcha ainsi, en jeûnant et il arriva finalement au pied d'une très haute et merveilleuse montagne. Jamais il
n'en avait vu d'aussi belle, tant par la pureté de ses formes que par l'élan de ses arêtes de neige et de rocher. A son pied, il rencontra un vieil ermite qui vivait là, dans une cabane de pierre. Celui-ci offrit à l'étranger en signe d'amitié, une coupe de lait de chèvre et quelques fruits. NAO accepta l'hospitalité que lui offrait le vieil homme et n resta longtemps dans ces lieux. La grande montagne le fascinait. Tous les soirs, il admirait le coucher du soleil derrière elle. Il n'eut bientôt plus qu'un désir : gravir cette paroi qui s'élevait d'un seul jet jusqu'à la cime, sur plusieurs milliers de mètres et semblait absolument infranchissable.
Pendant toute la saison des pluies, il pensa à son projet, se fabriqua un équipement adapté à l'escalade : espadrilles souples pour les rochers raides, brodequins en cuir pour la neige, cordes tressées en fibres végétales, pitons taillés dans des os. Pendant tous ces préparatifs mûrement réfléchis, il ne dit pas une parole et le vieil ermite ne lui posa aucune question. Leurs yeux leur servaient de langage.
Les beaux jours revenus, NAO fit son sac. remplit ses poches de fruits sèches et de blé et partit d'un pas lent et mesuré pour s'économiser. Arrivé au haut du sentier, là où la cabane de pierre va disparaître définitivement de sa vue. il se retourne et échange un signe de main avec l'ermite. Celui-ci dit : « lorsque tu reviendras, ami, je ne serai plus digne de partager ma cabane avec toi.»
Pendant des jours et des jours, NAO escalada les flancs de la montagne. Le vide était hallucinant, les difficultés toujours plus grandes et le sommet inaccessible. « Se peut-il que je meure ici, sans avoir atteint cette vérité que j'ai recherchée toute ma vie », pensait-il souvent. Et il se refusait à la chute ou à l'abandon. Il déboucha un soir sur une crête horizontale à l'extrême limite de l'épuisement. Pour la première fois, il découvrit l'autre côté de la montagne. Le sommet était proche. Le soleil passa au dessus de lui indifférent et alla se coucher dans l'océan que l'on voyait au loin. Enveloppé dans sa couverture, NAO patienta jusqu'à l'aube puis il reprit sa marche harassante sur la fine arête de glace. Cela faisait plus de deux jours qu'il n'avait rien bu ou mangé, son souffle était court et ses jambes de plomb. Sa tête lui faisait mal, mais il parvint néanmoins à se maîtriser. Lorsque le soleil fut au zénith, il arriva au sommet. Il s'assit, croisa ses jambes et chassa sa fatigue par une respiration ample et profonde. Pendant trois jours, il resta ainsi, sans bouger, à méditer, mais bientôt il sentit que ses dernières forces l'abandonnaient et qu'il allait mourir sans avoir compris et réussi sa vie.
Ses dernières forces et son dernier souffle allaient lui échapper lorsqu’il entendit une trompe et aperçut une colonne d'hommes vêtus de mauve et d'or qui venaient vers lui. Ils le couvrirent d'une couverture jaune, lui servirent à boire et le chargèrent sur un brancard. Il perdit connaissance.
Lorsque NAO revint à lui, il se sentit parfaitement bien dans son corps et son esprit. Toutes les forces de son antique jeunesse lui semblaient revenues. Il était dans un monastère, sur l'autre versant de la montagne et le grand prêtre le reçut chaleureusement et s'entretint longuement avec lui.
Pendant quatorze années, NAO resta de ce côté de la montagne. Quelles épreuves et quelles techniques apprit-il, je l'ignore, mais un jour le grand prêtre le fit sortir d'un cachot noir et sans repères dans lequel il était resté enfermé un an, un mois, une semaine, et un jour. Peu de temps après, il reçut le titre de maître très précieux.
C'est pieds nus qu'il repassa la montagne et retourna vers les siens. Lorsqu'il revit le vieil ermite, celui-ci s'inclina respectueusement et dit : « Maître, j'attendais votre retour pour mourir en paix, à présent que je vous ai vu, mon âme est en joie. » NAO posa un baiser sur son front et resta près du vieil homme jusqu'à sa mort. Il retourna ensuite en terre d'ORBAAN ; sa barbe et ses cheveux avaient
poussé, son corps était rajeuni et rayonnait d'une telle vitalité que personne ne le reconnut.
Les temps avaient changé ; il ne restait plus rien des règles sévères qu'il avait autrefois imposées en accord avec les fondateurs de la cité. Les progrès technologiques des hommes d'ORBAAN avaient été stupéfiants et ils avaient usé et abusé de cela pour aller dans la facilité et de ce fait vers l'esclavage. Civilisation cancéreuse, monstrueuse même, qui avait perdu tout sens de la vie. Malgré les outils perfectionnés, c'était souvent un travail abrutissant, une mauvaise répartition des richesses, le chômage des jeunes, l'inflation, le manque d'idéal, la violence, et le laisser aller partout.
Quelques-uns, par la pratique des sports de risques, cherchaient à retrouver par leur corps une vie spirituelle. En fait, dans cette civilisation déshumanisée et friande de drames, atteindre le sommet de la réussite dans l'indiscipline, c'était recevoir des autres la considération et le respect dont ils avaient soif. Cette quête du pouvoir n'allait pas sans casse.
NAO alla un jour près d'une falaise aux abords de la ville et il assista à des démonstrations effrénées d'escalade libre. Au pied d'un mur lisse, dénué de prises, des grimpeurs en tentaient vainement l'escalade. Les plus doués ne faisaient que deux ou trois mouvements, les autres ne décollaient même pas. Assurément, celui qui aurait franchi ce passage eût été grand parmi eux. NAO s'approcha du groupe et demanda la raison de toute cette excitation
L'un d'eux lui dit :
« le mur lisse est un défi ; celui qui le franchira sera le premier parmi nous à passer du 7e degré de difficulté. La légende raconte qu 'un des fondateurs de la cité avait gravi ce passage. »
NAO leur répondit :
« la difficulté n'est pas sur ce mur lisse mais en vous. Oubliez votre corps et vous serez en haut du passage. Donnez votre vie pour les
autres et vous aurez retrouvé votre dimension d'homme, vous serez 7. Vous n 'aurez plus alors besoin de grimper. »
Personne ne comprit ces paroles, mais un malaise s'installa tant la conviction de NAO était forte. Il s'éloigna des grimpeurs et allait reprendre son chemin lorsque l'un deux le retint par le bras et dit :
« étranger, si tu es capable de franchir ce passage, fais-le, afin que nous puissions croire en toi et en tes paroles »
« Jusqu’ à quand vous faudra-t-il toujours des preuves ? je ne vous demande pas de croire à mes paroles, mais de reconnaître la vérité là où elle se trouve. »
NAO s'approcha doucement du rocher, le caressa et l'escalada avec une aisance stupéfiante. Arrivé en haut, il joignit ses mains et redescendit par la même voie. Un grand silence s'installa.
NAO voulut de nouveau partir, mais tous le retinrent en le suppliant de leur apprendre à faire cela.
Il s'emporta contre eux : « il n'y a pas de secret, si votre but sur la terre était de grimper, croyez-vous que vous auriez besoin de ces chaussures spéciales et de cette résine pour vous enduire les doigts ? »
II s'éloigna d'eux. Quelques-uns le suivirent.
Dans la grande cité surpeuplée, il soignait les malades de ses mains, enseignait l'hygiène et la discipline. A tous ceux qui venaient le voir, il se plaisait à dire qu'il n'était qu'un miroir, que tout homme devait révéler le maître qui sommeillait en lui. qu'il fallait qu'il meure pour que ceux qui écouteraient sa parole puissent vivre à leur tour.
Et il mourut, lapidé comme il avait lapidé lui-même l'homme aux yeux doux. Et ceux qui l'avaient suivi formèrent un des flots qui permirent la naissance d'une civilisation qui retrouva la vraie connaissance, telle qu'elle existait jadis, il y a bien longtemps, au début de ce monde.


Photo: Adolphe Hitler récompense la cordée austro allemende conduite par Anderl heckmair après sa réussite à l'Eiger. Cette ascension illustrait bien la propagande national socialiste.

Ivano Ghirardini, le récit de sa tentative au Cervin, quelques mois avant sa trilogie de l'hiver 77-78


ALPINISME ET SPIRITUALITE
Afin qu'ils soient un comme nous sommes un » (Evangile selon saint Jean)
par Ivano GHIRARDINI

Quelle montagne étais-je en train de gravir ? Je l'avais déjà presque oublié. Depuis combien de temps n'avais-je plus dormi, bu, mangé ? Je ne m'en souvenais plus. Je grimpais tout droit dans la tempête, sans savoir, aveugle, les cils collés dans une épaisse gangue de glace que je devais sans cesse arracher mais qui se reformait aussitôt. Le vent était parfois si violent que je suffoquais, la respiration coupée par une rafale glacée. Je n'appartenais plus au monde logique des humains.
Mon esprit était sans mot, sans souvenir et mon calme parfait.
Les difficultés, le froid, la fatigue, la soif n'existaient plus et une sérénité merveilleuse guidait chacun de mes gestes, de mes pas. Non, je ne pouvais pas tomber ! Dans cet état d'esprit, que pouvait-il m'arriver ?
Ma montagne n'avait plus de sommet, ma paroi, mon escalade plus de fin. J'étais en train de réaliser ce rêve étrange qui m'avait tant fasciné à mes débuts : je me voyais partir, gravir seul une haute et très belle montagne aux lignes si pures et aux faces si sévères qu'il semblait qu'aucun humain n'eût pu la gravir.
Puis venait la grande tempête qui dure des jours, des semaines, des mois et je disparaissais à jamais aux yeux des hommes de ce monde auquel il me semblait ne plus appartenir.
Tout à coup, un cri ! Qui m'appelle là sur la droite, derrière cette arête de rocher ? Il me semble entendre des rires, des chants. Je hurle à mon tour : je suis là, amis, attendez-moi ! Et je grimpe à toute vitesse sur la droite, mais je ne découvre qu'un autre univers glacé, identique au précédent, et le vent disperse mes appels. Dans ma folie, j'étais allé si loin au-delà de moi-même que bientôt je pourrais peut-être rejoindre mon monde, ma civilisation.
En mon esprit, je revoyais les hallucinations violentes qui avaient suivi mon ascension solitaire et hivernale du Linceul dans la face Nord des Grandes Jorasses. J'avais survécu là-haut près de huit jours sans nourriture ni boisson. Je revoyais la grande nouraghe où, tôt le ma¬tin, nous allions méditer et prier face au soleil levant, nos fêtes, nos chants, ma mort au combat face à l'océan sous un ciel infiniment serein et pur.
Brusquement la paroi perd de sa verticalité, le vent redouble de violence et je débouche sur une crête horizontale. Au-dessus de moi un ciel d'encre, et tout autour des brumes sombres qui courent en tous sens. La neige fouette mon visage et j'ai envie de pleurer; mais très vite je me reprends car mon rêve a pris fin, et il me faut défendre ma vie dans ce milieu à pré¬sent hostile. Dans quelques minutes il fera nuit et c'est avec rage que je taille la corniche pour le bivouac. A peine installé, j'éprouve dans tout mon être une immense fatigue, mais je ne peux dormir car tous mes vêtements sont mouillés et de grands frissons secouent sans cesse violemment mon corps épuisé. Le côté désespéré de ma situation m'apparaît alors.
Le lendemain, le ciel est dégagé mais le vent reste toujours aussi violent et glacial. Je suis sur l'épaule du Cervin, et là, tout près de moi le sommet. Sous mes pieds les dévaloirs ver¬glacés et sinistres de la face Nord que j'ai gra¬vie sans assurance. Pourquoi cette escalade ?
Pourquoi tous ces risques insensés ? Dès le premier jour de mon ascension, une coulée de neige a emporté la presque totalité de mon ma¬tériel et j'ai continué. Pourquoi ? Peu importe à présent, il me faut sans tarder redescendre, secouer ma léthargie, mon envie de dormir car sinon je resterai bloqué ici. Un hélicoptère essaie d'approcher du Cervin mais les turbu¬lences rageuses du vent le découragent vite.
La descente par l'arête du Hôrnli n'est pas diffi¬cile mais dangereuse à cause des plaques à vent et des neiges instables d'hiver. C'est en titu¬bant, ivre de vent et de fatigue, en proie à des vertiges à cause de la déshydratation que j'atteins le refuge Solvay. Je peux enfin m'abriter et préparer une boisson grâce à des bougies.
Puis je reprends ma descente, tout droit par la face Est, sans jamais m'assurer mais sans cesse attentif à chacun de mes gestes, de mes pas. Ce serait bête, vraiment bête, de mou¬rir ici.
Quelques heures plus tard, je suis au pied de la face et je vais continuer ma descente vers Zermatt lorsque des voix m'appellent, là-haut, sur l'arête près du refuge du Hôrnli. Sur le coup je ne les reconnais pas, puis mon cœur fait un bond. Ce sont Georges et Pamela, ces amis très chers que je croyais rentrés dans leur lointain pays. Ils m'ont accompagné au pied de la face, attendu et aidé par leurs pensées et leur compréhension. Comment pourrais-je oublier ?
J'avais des gelures au visage, aux pieds et aux mains, et j'ai essayé de cacher de mon mieux mon mal à mes amis afin qu'ils ne s'attristent point sur mon sort. Puis j'ai retrouvé la Haute Provence, mes parents, mes frères et sœurs, et cette chaude affection qui règne entre nous.
J'ai voulu guérir sans médecine, par la prière avec l'aide de la Terre, de l'Eau, du Soleil et de l'Air, mais il est des lésions que seules de très hautes spiritualités peuvent guérir, et il a fallu retrancher de mon corps les chairs mor¬tes. Aucune montagne ne vaut ce prix ; mais je ne regrette rien. S'il fallait recommencer, je recommencerais sans hésiter ces folies que sont mes ascensions solitaires et hivernales dans les grandes faces Nord.
Dans les années qui viennent, peut-être vais-je tenter ce qu'aucun alpiniste n'a encore osé tenter. Je ne recherche pas une gloire person¬nelle ou l'argent, mais une autre dimension de moi-même. J'ai en dégoût profond cette civili¬sation de médiocrité et de dégénérescence phy¬sique et morale dont je porte en moi les tares.
L'alpinisme extrême, par l'attention, la concen¬tration et la décontraction qu'il demande, rejoint un peu 1 e s techniques orientales d'Union avec cette force cosmique d'amour et de vie que l'on pourrait rapprocher de Dieu.
Mais c'est une voie qui ne peut aboutir car l'homme, de toute évidence, n'est point fait pour ces univers glacés et hostiles où_ il ne trouve ni nourriture, ni boisson et où il ne peut rester. De plus, pourquoi accomplir des actes gratuits, dangereux et égoïstes, alors que tant d'hommes sur cette planète ont besoin d'aide, d'amour et de soins ?

photo: Ivano Ghirardini à l'entrainement au Glacier des Bossons.