lundi, novembre 09, 2009

L'aventure extrême d'Ivano Ghirardini


SPORTS
ALPINISME
«SOLO» DANS L'HIMALAYA
L'aventure extrême d'Ivano Ghirardini

Grenoble. — Six expéditions françaises sont parties, en 1981, à la conquête de sommets de la chaîne himalayenne de plus de 8 000 mètres. Les guides, Yannick Seigneur et Jean Afanas-sief, accompagnés de deux Allemands, ont échoué dans leur tentative d'ascension de la voie sud du K. 2 (8 760 mètres), sur le versant chinois de l'Everest (8848 mètres). Les quatorze membres de l'expédition militaire française, conduite par le commandant Jean-Claude Marnier, ont atteint 8 600 mètres après quatre-vingt-dix jours d'efforts dans la face nord de l'Everest.
Sur l'arête nord-ouest de l'Anapurna (8091 mètres) une expédition savoyarde a perdu deux de ses membres, emportés par une avalanche, dans la nuit du 27 au 28 septembre,
alors qu'ils se trouvaient au camp numéro 1, à 5 100 mètres. Au retour du sommet du Kang-chenjunga (8 598 mètres) qu'il venait de réussir, M. Jean-Jacques Ricouard, qui dirigeait un groupe de cinq grimpeurs, a fait une chute de 300 mètres et s'est tué. Le 6 août, quatre alpi¬nistes, qui n'avaient aucune expérience de l'Himalaya, ont atteint le sommet du G as fier-brum 2 (8035 mètres). Pour la première fois, une Française atteignait un « plus de 8 000 mètres * en cordée alpine ; elle était le médecin de l'expédition. Une autre expédition de quatre membres a ouvert une voie nouvelle dans la face ouest du Manaslu (8 156 mètres). Pierre Beghin, vingt-neuf ans, chercheur, et Bernard Muller, trente-trois ans, guide-confé¬rencier, ont atteint le sommet après un itiné¬raire de 4 000 mètres de dénivelée.
« L'Himalaya démythifié » : C'est ainsi que la revue Alpinisme-Randonnée rendait compte, il y a quelques semaines, de l'exploit réalisé au Gasherbrum 2 par trois hommes et une femme, au pal¬marès alpin modeste, qui dispo¬saient d'un budget de quelques centaines de milliers de francs mais d'une immense volonté de vaincre.
Les quatorze « 8 000 » himalayens ont perdu, au cours des trois dernières années, grâce no¬tamment aux performances soli¬taires réalisées par l'Italien Reinhold Messmer au Nanga Par-bât, puis à l'Everest, une partie de leur prestige d'invincibilité. Les « 8 000 » sont ainsi devenus des sommets presque « humains », que les équipes de trois ou quatre grimpeurs n'hésitent plus à con¬quérir par des itinéraires origi¬naux et très difficiles.
Les échecs des deux expéditions françaises, très « lourdes », au K. 2 (8760 mètres) en 1979, puis dans la face normale du versant chinois de l'Everest en 1981, de¬vraient mettre un terme, tout au moins parmi les Français, à ce type d'aventure himalayenne extrêmement coûteuse et qui sou¬vent n'aboutit pas. « L'alpinisme dans l'Himalaya doit retrouver sa noblesse et sa pureté », affirme le guide Ivan Ghirar¬dini, qui prépare à Chamonix l'expédition _« la plus insensée » de l'histoire de l'alpinisme. Elle cumule toutes les difficultés : une escalade extrême effectuée en solitaire et sans oxygène pour atteindre 8 481 mètres par le pilier ouest du Makalu.
Hivernales
En 1971, lorsque cet itinéraire fut vaincu par une expédition de onze hommes, on qualifia cet exploit d'« héroïque aventure ». Deux alpinistes parvinrent au som¬met : Yannick Seigneur et Bernard Mellet. L'ascension ne fut renou¬velée qu'en 1980, mais en tech¬nique alpine et sans oxygène, par un Américain.
Aller plus loin et plus haut dans le domaine de 1' « impos¬sible », retrouver le sens du grand alpinisme hivernal, c'est le pari que lancera cet hiver Ivan Ghirardini : « L'alpinisme soli¬taire est la façon la plus specta¬culaire de gravir une grande paroi Aucune faute et aucune faiblesse
De notre correspondant
ne sont permises. Il faut une connaissance exacte de ses limites et un grand calme, pour rester maître de soi dans de pareilles situations. » Ivan Ghirardini est un spécialiste de ce type de défi puisqu'il effectua, en 1975, la première hivernale solitaire de la face nord des Grandes-Jorasses et, pendant l'hiver 1977-1978, l'as¬cension «solo» des voies nord du Cervin, des Grandes-Jorasses et de l'Eiger.
« C'est avec des bagages légers, dit-il, que je m'envolerai pour le Népal au début de décembre.» Quarante kilos de matériel, qu'il acheminera dans la montagne népalaise avec son épouse et avec un alpiniste pakistanais. Puis seul, au pied de l'immense paroi, il attendra, dans une grotte de glace, que le vent, extrêmement violent, qui souffle parfois à 250 kilomètres-heure sur les som¬mets himalayens, se calme et que la température ne descende pas au-dessous de — 30 à — 40 degrés. H compte atteindre les 8481 mètres du Makalu après avoir installé un camp de base avancée à 6 600 mètres, puis effec¬tué deux bivouacs vers 7200 et 7800 mètres.
« L'histoire de l'alpinisme est une suite continue de ces pré¬tendus impossibles gui tous, à un moment ou à un autre, devien¬nent le dificile de demain et le classique de l'après - demain », explique Ivan Ghirardini. H est convaincu qu'on pourra, dans quelques années, effectuer l'as¬cension d'un «plus de 8000 mè¬tres » avec « deux copains et un sac sur le dos ». L'utilisation de matériaux très légers et le recours à des techniques sophistiquées comme l'utilisation de piles ato¬miques pour chauffer l'intérieur des chaussures devraient per¬mettre cette évolution. Le déve¬loppement de l'alpinisme hivernal dans l'Himalaya passe peut-être par le recours à ce type de tech¬nologie de pointe. Ivan Ghirar¬dini admet que ses chances de réussite au Makalu sont fai¬bles (1).
La tentative de cet alpiniste hors du commun ouvrira l'ère des
grandes expéditions hivernales de l'Himalaya. Il ne fut précédé dans ce genre d" « aventure extrême » que par une expédition lourde polonaise qui atteignit, le 17 février 1980, au prix d'efforts surhumains, l'Everest. Les Fran¬çais Louis Audoubert, Marc Bâ¬tard et Thierry Leroy prévoient, quant à eux, de gravir, pendant l'hiver 1982-1983, le «toit du monde » en empruntant son épe-'ron sud-ouest.
CLAUDE FRANCILLON.
(1) Le docteur Nicolas Jaeger, qui avait tenté en mai 1980 l'ascension du Lhotse (8 511 mètres) dans des conditions analogues, a été porté disparu.