mardi, novembre 10, 2009

L'ascension du Linceul rapportée par Lucien Devies, célèbre chroniqueur de la revue alpine du CAF.

LA CHRONIQUE ALPINE
par Lucien DEVIES


Grandes Jorasses
Ivan Ghirardini (qui habite dans les Alpes-de-Haute-Provence et non dans l'Ariège) nous a adressé des précisions sur son par¬cours hivernal du Linceul qui reconstituent exactement son aventure. Attaque le 23 février 1975 à 10 h par la voie Desmaison du flanc gauche de l'éperon de la Walker. Le 25, il quitte cet itinéraire et rejoint le Linceul au-dessus des goulottes. Le 26 au soir, au bivouac, c'est la cata¬strophe : Ghirardini perd le joint d'étan-chéité du bleuet et ne peut plus faire de boisson. Le 27 il continue, après avoir abandonné du matériel et des aliments en poudre. Vers 17 h, à 50 m sous l'arête des Hirondelles, il voit l'hélicoptère et fait des signaux de détresse. Bivouac sur l'arête. Après une mauvaise nuit due à la déshydra¬tation, il continue vers le sommet. Vers 12 h, l'hélicoptère passe; Ghirardini fait de nou¬veaux signaux de détresse, mais l'hélicop¬tère part ; le grimpeur attend deux heures, espérant, vainement, les secours. Il repart
et descend. Vers 17 h 30, nouveau passage de l'hélicoptère, nouveaux signaux de détresse au niveau du Reposoir. I. Ghirardini n'a plus de nourriture et attend, persuadé que ses signaux ont été compris. Le dimanche 2 mars, le mauvais temps arrive et le lundi c'est la tempête de neige avec une légère accalmie le mardi. A l'expiration du délai de dix jours annoncé par le jeune homme, ses parents se sont inquiétés. Son père a téléphoné le 3 à Chamonix (où on lui a répondu que tout allait bien) puis retéléphoné les 4 et 5 : les secours sont déclenchés ce jour-là. Et le 6, vers 11 h 30, l'hélicoptère, dont l'équipage fait preuve une fois de plus d'une décision et d'un courage remarquables, arrache le jeune homme à une mort certaine. La faillite des signaux conventionnels est démontrée par ce drame qui s'est bien ter¬miné à l'ultime instant : par trois fois Y. Ghirardini avait fait les signaux avec les bras levés et il n'avait pas été compris. C'est montrer combien il importe que les recom¬mandations de la F.F.M. pour l'emploi d'une fusée rouge ou d'un carré rouge soient diffusées au maximum... et suivies.

Grandes Jorasses
Du 22 au 28 février 1975, un jeune aspi¬rant-guide breveté l'année dernière à l'E.N.S.A., M. Ivano Ghirardini, demeu¬rant dans l'Ariège, a effectué en soli¬taire le quatrième parcours et la seconde hivernale du Linceul. D'hélicoptère, on l'aperçut à plusieurs reprises dans la voie d'abord et sur l'arête des Hirondelles le 28. Dans l'après-midi du 28 on aperçut ses traces se dirigeant vers le rocher Whymper.
N'ayant pas de nouvelles, on pensa qu'il avait rejoint Courmayeur puis l'Ariège.
Mais le 5 mars un appel téléphonique de son père donnait l'alerte : le jeune homme n'était pas rentré chez lui! Le 6 au matin, un hélicoptère le découvrit à 3 700 m étendu sur la neige à l'aplomb de la pointe Whym¬per, les bras en croix. Malgré de très mau¬vaises conditions, le treuillage fut tenté et réussi et Ghirardini transporté à l'hôpital de Chamonix. Il avait des gelures aux pieds et aux mains et se trouvait dans un état d'épuisement extrême, sans doute n'aurait-il pas résisté à une dernière nuit en altitude. Cette réussite très audacieuse était au dessus des forces, pourtant très grandes
comme en témoignent les difficultés sur¬montées, de celui qui l'avait entreprise et son achèvement en perdition illustre la sé¬vérité de l'alpinisme hivernal des grandes entreprises. Elle constitue une mise en garde et montre aussi l'intérêt, voire la né¬cessité, d'un échelon à terre et d'une déclaration de départ et de retour.