mardi, novembre 10, 2009

Ivano Ghirardini, Bourse de la vocation, 1981.


Ivano Ghirardini, lauréat de la Fondation de la vocation
Ivano Ghirardini, lauréat de la vingt-deuxième promotion de la Fondation de la vocation, recevra aujourd'hui à Paris une bourse qui lui permettra d'assumer une partie des frais de son expédition.
La cérémonie de remise de cette bourse se déroulera sous la présidence de cinq prix Nobel, les professeurs François Jacob, André Lwoff, Alfred Kastler, Louis Néel, Jean Dausset.
Chamonix. — Ivano Ghirardini va s'envoler dans quelques jours vers l'Himalaya pour tenter ce qu'aucun être humain n'a réussi avant lui. Concentrer les plus grandes difficultés de l'himalayisme : gravir, seul, en hiver, sans oxygène le Makalu (8 481 m) et de plus par une voie d'escalade extrême le pilier Ouest ouvert par l'expédition française Paragot en 1971.
Franchir les barrières qui nous séparent de notre âme.
Ivano est un mystique avide de pureté. Il veut remonter aux sources de l'alpinisme sans artifices. C'est bien de Révélation au sens quasi religieux du terme qu'il s'agit lorsque ce fils d'émigré italien pas du tout destiné à la montagne à 20 ans reçoit le choc de l'appel de la montagne au cours d'une traversée des Alpes de Haute-Provence. Dès lors pour ce mathématicien la vie change complètement.
Deux ans plus tard il réussit la première hivernale solitaire de la face. Nord des Grandes Jorasses mais son manque d'expérience risque de' lui coûter la vie. Il reste huit jours sans boire et six nuits sans manger. C'est le premier rendez-vous avec ses limites car Yvan animé par cette foi intérieure qui est sa principale raison d'agir ne veut pas parler de rendez-vous avec la mort.
« Beaucoup d'alpinistes parlent d'un palier de la mort à 7 000 m, pour moi cela n'existe pas » dit-il.
La suite on la connaît : les trois grandes faces Nord des Alpes dans le même hiver (Cervin, Jorasses, Eiger) un exploit unique, l'Aconcagua le K 2 etc.
«Je sais que j'ai très peu de chances de réussir» dit le guide d'origine italienne installé à Chamonix. Au delà des difficultés techniques extrêmes que cette tentative représente, c'est aujourd'hui l'aspect humain que nous voulons maintenant privilégier car il faut connaître la démarche de cette homme, son comportement bien particulier pour comprendre que pour lui cela n'a rien d'une folie suicidaire.
« Je ne prépare pas spécialement, dit Yvan, Pour moi l'alpinisme n'est pas un sport c'est un acte psychologique, c'est l'expression de la vie intérieure ».                                                 '
Un vocabulaire qui surprend même les alpinistes chevronnés de sa génération mais c'est une réalité.
Alors pourquoi cette tentative au Makalu ' « Ce n'est ni le goût du risque, ni des préoccupations matérielles qui motivent Yvan Ghirardini, peut on lire dans le document présentant son expédition. Peut-être la montagne est-elle une sorte de miroir qui révèle les alpinistes tels qu'ils sont. Peut-être est-ce une façon d'atteindre une conscience plus claire et vaste de soi-même ou bien une tentative comme disait Bonatti pour essayer de franchir les barrières infranchissables qui nous séparent de notre âme ». On est bien loin là des expéditions à 30 personnes et 300 sherpas qui investissent des millions de centimes.
Aux portes de la perception.
Après les réussites des expéditions légères comme celles de Messner, Ghirardini veut confirmer ce virage vers un alpinisme de plus en plus dépouillé à l'image de son maître le grand Walter Bonatti donc sans
oxygène. « C'est tout à fait possible » dit Yvan. Alors il faut s'imaginer cet homme seul ayant laissé son épouse et ses deux amis au camp de base  avancé  braver les  rigueurs  d'un  hiver  himalayen  dont  les alpinistes les plus endurcis qui ont fait des tentatives hivernales affirment que les conditions de survie sont inhumaines. Il faut imaginer cet homme seul restant plusieurs semaines dans un trou de glace en attendant que les vents soufflant à 200 km à l'heure veuillent bien cesser quelques heures, avec un peu de nourriture
végétarienne et quelques livres à 8 000 m d'altitude. Seuls en haute montagne, les rapports avec la nature changent. On n'est en fait pas seul, on voit les choses différemment, on découvre en soi des forces nouvelles qui font qu'on se surpasse. Les relations avec le rocher deviennent presque amicales » estime-t-il. Ivano a suivi les expériences d'isolement de Michel Schiffres dans sa grotte. C'est sur le plan humain le même problème. Par l'isolement librement consenti on arrive aux portes de la perception, pense-t-il mission, obligation intérieure ; ce sont des mots qu'emploie le guide et il aura besoin de toutes ces ressources morales pour mener à bien une tentative qui, si elle réussit marquera une étape importante dans l'histoire de l'alpinisme et de l'homme en général, même si beaucoup pour l'instant sont sceptiques.
Jean-Paul ROUDIER