mercredi, novembre 04, 2009

Ivano Ghirardini, tentative au Makalu en hivernale solitaire.




ALPINISME   Makalu (8441 mètres) :

Ivano Ghirardini a renoncé au pilier ouest mais devait s'attaquer à la voie normale
Chamonix. — La brève information que nous avons publié vendredi indiquait qu'Ivano Ghirardini, le guide de Çhamonix parti faire l'ascension du Makalu en solitaire en hiver sans oxygène par la voie difficile du pilier ouest, a du rebrousser chemin après avoir atteint 7000 mètres d'altitude.
C'est une mesure sage d'un homme responsable connaissant ses limites et qui, en prenant cette décision, a donné tort à tous ceux qui, plus ou moins bien intentionnés, le jugeait fou suicidaire.
La lettre qu'il nous a adressée du camp de base où il était redes­cendu le 12 janvier en est un témoignage.Cette lettre, arrivée jeudi à Cha­monix est rédigée ainsi.


Deux premières hivernales tout de même

« Nous sommes arrivés au camp de base le 31 décembre à 4850 mètres. Le 2 janvier, je suis monté à 5300 mètres à l'ancien camp 1 (celui de l'expédition française) mais une violente tempête m'en a délogé et le 4 je suis redescendu au camp de base.
« Le 6 janvier, le temps s'est remis au beau et je suis reparti. Le 7. j'ai atteint 6000 mitres et j'ai installé mon bivouac 2 (il est plus correct de parier de bivouac que de camp) ».
Pour se rendre ensuite au pied de la principale difficulté, le pilier Ouest dont l'expédition française a réussi en 1971 la première ascension, il faut passer de 6000 à 6800 mètres par une arête dite des Jumeaux qui comprend deux sommets le Jumeau 1 à 6100 mètres et le Jumeau 2 à 6420 mètres.
En gravissant cène longue arête neigeuse qui mène au pied du pilier, Yvan Ghirardini a réussi, au passage, la première ascension hivernale solitaire de chacun des deux Jumeaux ce qui aurait pu constituer le but d'une expédition. C'est le 8 janvier qu'il a réalisé cette performance. Ainsi, le grimpeur installa son bivouac No 3 vers 6800 mètres au pied de ce pilier.
il poursuit son récit : « Le 9, j'ai essayé de continuer mais très vite l'âne s'est fixé sur le Makalu l'Everest et le Lothse (1). J'ai juste eu le temps de me replier vers le bivouac 3 lorsqu'une des plus incroyables tempêtes que j'ai jamais vu s'est déchaînée sur cette région de l'Himalaya avec des vents de plus de 150 km/h et des températures de moins 40 à moins 50 degrés. Même dans le duvet, il gèle. Le 10 la température se calme et je profite d'une éclaircie pour finir le plus vite possible ce pilier. Le 10 au soir, j'atteinds le bivouac 1 et le 11 sous la neige et la tempête, le camp de base ».

Le Makalu « hurle » comme le Concorde

En dix jours, deux premières hivernales et une altitude de 7000 mètres dans des conditions ex­trêmes c'est déjà quelque chose d'important mais pour l'objectif No 1 de l'expédition Yvan Ghirar­dini a pris sa décision à la lumière de ce qu'il vient de vivre : «J'ai renoncé à tenter le pilier en solitaire et en technique alpine car ce serait suididaire. En effet, au dessus de 7000 mètres, les turbulences du vent et les rafales sont d'une violence inouïe. Certes, je pourrais peut être monté au sommet en trois jours depuis le camp 3 mais comment redescendre avec des vents de 150 à 200 km/h. Le Makalu hurle tous les jours et l'on croirait assister à un décol­lage perpétuel du Concorde plein réacteurs ». Voilà une analyse qui en dit long sur les conditions rencontrées par l'alpiniste qui, rappelons-le, tentait là le pari le plus audacieux de l'histoire de l'alpinisme.
Mais, Yvan Ghirardini, lauréat de la Vocation, ne veut pas en rester là. Il a aussitôt demandé l'autori­sation de gravir ce même som­met par la voie normale donc en solitaire jusqu'au sommet qui est népalais puis jusqu'au sommet.

Pas de droit à l'erreur

Comme les hivernales réussies après le 31 janvier ne sont pas reconnues comme telles par le Népal et si Yvan Ghirardini a réussi avant dimanche ce que nous saurons dans les jours qui viennent, ce serait le premier 8000 gravi en hivernale et, qui plus est, en solitaire car la réussite des Polonais à l'Everest avait eu lieu après le 31 janvier. « Mais ne rêvons pas, écrit Yvan, j'ai très peu de chances de réussir. En tout cas, c'est déjà une fantastique expérience ». Il est vrai de plus que le grimpeur n'a pas le droit à l'erreur. La dramatique aventure de Nicolas Jager qui s'est terminée par la disparition de celui-ci a très défavorablement impressionné le gouvernement du Népal et, en cas d'échec, d'Yvan Ghirardini, ce serait l'alpinisme solitaire au Népal qui pourrait être définitive­ment compromis.Yvan Ghirardini a du mener des tractations pendant plus de quin­ze jours avec les autorités pour obtenir l'autorisation et, c'est grâce à son passé et à sa longue expérience qu'il y est arrivé. Reinold Messner quelques mois plus tôt avait lui aussi obtenu l'autorisation du Makalu pour le gravir en solitaire l'automne der­nier mais il avait renoncé dès son arrivée au camp de base.

(1) L'âne : Nuage de mauvais temps qui s'accroche sur les sommets.

Notre photo. — L'itinéraire du pilier ouest du Makalu qu'Yvan Ghirardini, a gravi, à moitié.

Jean-Paul ROUDIER